« - T’as changé, Azzam.
- Je sais.
- Non mais, t’es devenu inhumain, une sale enflure.
- Je sais. »

Autrefois curieux, touche à tout, dans sa bulle et extrêmement intelligent, Azzam était l’ami de tout le monde, le petit garçon qu’on adorait aller voir, qu’on aimait charrier et avec qui le temps nous semblait bizarrement plus cours. Ouvert d’esprit et amical, il ne jugeait la moindre personne et s’attachait à n’importe qui, tant qu’on lui montrait un semblant d’amitié et d’empathie. Petit garçon naïf, il se faisait souvent berner par les plus malins bien qu’on ne lui cherchait guère des noises, personne ne semblait le haïr, bien au contraire.  Véritable rat de bibliothèque, il ne cessait de se cultiver encore et encore, dévorant un nombre inconsidéré de bouquins durant son temps libre dans cette immense pièce que papa et maman possédaient dans leur grande et magnifique demeure. C’était un garçon des plus normal, heureux d’avoir obtenu ce magnifique cadeau qu’est la vie, savourant son existence en exerçant un nombre incalculable d’activités et se cultivant un maximum.

Puis il y a eu cette fameuse soirée.

Là où tout a changé pour lui.

La lune écarlate avait eu un véritable impact sur le jeune garçon, sur le plan physique mais également sur le plan psychologique. Lui qui était uniquement partit de son pays natal afin de passer du temps avec son frère avait vécu de tels traumatismes après cette nuit mouvementée, il avait vu tant de carnage et tellement de cadavres jonchant à même le sol, les yeux révulsés. Traumatisé, il s’était promis à lui-même de ne plus jamais ressentir cette peur tenace, cette sensation qui lui tiraillait les entrailles et le paralysait totalement, incapable d’aider son prochain alors que chacun tentait de s’entraider.

Puis le système de caste était arrivé, ce nouveau « gouvernement » avait fait son apparition et une sorte de haine était née chez le jeune homme, la Luna Rouge avait changé tout le monde, lui y compris. Sa colère était si grande, sa rancune si tenace qu’il en avait perdu son humanité, son allégresse et son empathie. Véritable criminel, ses iris observaient les nombreuses victimes qu’il s’amusait à tuer pour sa survie, devenant de plus en plus cruel aux fils de ses actes barbares et inhumains. Autrefois bavard et heureux, le silence et la manipulation étaient devenus ses mots d’ordres, n’hésitant pas à se servir de la moindre personne, même d’un pauvre homme en détresse afin de parvenir à ses fins et ce, sans le moindre scrupule.

Si seulement son manque total de compassion s’arrêtait là. Non, Azzam était devenu bien plus complexe qu’il n’en donnait l’impression. Son esprit ne cessait de réfléchir encore et encore, ses pensées s’entremêlaient et il en perdait la tête, bien trop souvent, laissant le jeune homme seul face à ses démons intérieurs. Il lui arrivait assez fréquemment de parler à lui-même, de s’automutiler et de rire aux éclats la seconde suivante. La lune rouge avait eu un impact plus conséquent qu’il ne le pensait, lui qui ne voyait pas ses débordements comme étant alarmiste, aux yeux des autres, ça faisait de lui une personne véritablement instable, non fréquentable et totalement inconscient qui n’avait le moindre respect pour sa propre vie et celle d’autrui.

Ses petites mains s’agrippaient à la balancelle, confortablement assis. Il observait la nature depuis son jardin, ses iris se fixant sur ce minuscule oiseau qui semblait s’adonner à une sorte de danse de la séduction face à cette autre adorable petite bête face à lui. Le soleil surplombait la cour, les rayons lumineux de cet astre réchauffant son épiderme, ses paupières se plissant légèrement tandis qu’un sourire avait naquit sur ses petites lèvres rosies. L’été était la saison préférée du jeune garçon, la nature était en éveil et les gens étaient d’humeur joviale, les temps étaient aux festivités et la vie semblait plus agréable durant ces quelques mois de pur bonheur. Du haut de ses cinq ans, son insouciance reflétait sa parfaite enfance, entouré de parents et d’un frère aimants, une demeure de rêve et une bibliothèque à en faire rêver les plus ardus de lecture. Azzam était heureux, chaque jour était un cadeau qu’on lui offrait gracieusement et il comptait en savourer chaque seconde.

Ce souvenir de cette matinée est étrangement resté gravée dans son esprit durant toutes ces années et ce, même après cette nuit où la lune aux couleurs écarlates avait fait son apparition, ébranlant et ravageant n’importe qui étant victime de ses effets nocifs et malsains. Encore aujourd’hui, durant ses nombreuses crises répétitives, Azzam ne cesse de visualiser encore et encore cette magnifique journée qui, bizarrement, apaisait ses pulsions meurtrières bien qu’il n’en avait que faire d’ôter une énième vie à une énième personne qui se trouvait face au jeune homme en crise. Même s’il hait ce changement, même si cette nouvelle vie le hante et le détruit petit à petit, jour après jour, il ne souhaite pas revenir à cette parfaite vie qu’il avait, auparavant, aux côtés de ses parents, rendant quelques fois visite à son frère aîné, habitant désormais à l’autre bout de la Terre. C’est aussi la raison même de cette haine tenace qu’il voue à Mathis, lui qui cherchait simplement à venir sur son lieu de résidence, voulant passer quelques jours auprès de son « brother », lui qui vivait le rêve Américain tandis qu’Azzam restait aux côtés de papa et maman.  Il lui en veut encore aujourd’hui de lui avoir proposé ces quelques jours de vacances avec lui, d’après lui, tout est de sa faute et uniquement la sienne. Azzam ne vit que pour voir son cher frère périr lentement, atrocement sous ses yeux et souffrir au plus haut point afin qu’il puisse se délecter de sa douce vengeance qu’il souhaite tant depuis cette nuit désastreuse.

Ses doigts se resserraient nerveusement au poignet de sa valise, patientant devant toute une cohorte de voyageurs, observant les horaires d’embarcation avec agitation. Il appréhendait ce vol, il avait hâte d’arriver et de se retrouver en compagnie de son cher frère qui devait, lui aussi, l’attendre impatiemment. La météorologue sur cette chaîne populaire de télévision avait annoncé de bonne température avec un ciel découvert et largement ensoleillé. Il n’y avait pas lieu de s’inquiéter d’un quelconque crash d’avion ou tout autre accident mortel. Non, tout allait être parfait et les deux garçons allaient passer de bons moments ensemble, comme avant.

Son ancienne vie ne cessait de troubler ses pensées, revenant sans cesse, souvenirs indésirables, impossible à chasser de son esprit tordu et complexe. Si seulement, cette Lune Rouge avait eu un impact sur sa mémoire, il en aurait été tellement reconnaissant de tout oublier, d’avoir eu une perceuse en marché enfoncé contre sa tempe. Seulement, la vie ne lui avait pas fait de cadeau et ses flashbacks le hantaient continuellement et, malheureusement, il n’arrivait pas à passer outre, ce qui causait, probablement, ses crises répétitives et particulièrement meurtrières. Azzam arrivait à ressentir quelques fois cette tristesse si forte qu’elle provoquait chez lui ces quelques larmes incontrôlées qui perlaient le long de ses joues lorsqu’il se retrouvait seul, uniquement accompagné de ses souvenirs et sa haine tenace envers Madhi, une colère si forte qui le détruisait petit à petit.

Aujourd’hui, Azzam était devenu cette personne totalement différente d’autrefois, laissant cette euphorie et son envie folle de vivre loin derrière lui. Sa conscience avait disparue et son sens moral n’existait plus, uniquement régit par sa haine et sa soif de sang, il se laissait guider par ses pulsions meurtrières et profitant de son pouvoir à son escient. Les rues dévastées et sombres de la ville étaient désormais sa demeure. Fini la maison luxuriante avec tous ces avantages, ces femmes de ménage et cet argent coulant à flot. Désormais, tout ce dont il profitait était ces hurlements constants et ces morts multiples, écartés de la population « saine et sauve », en parfaite sécurité dans leur petit concon protecteur. Azzam les détestait, tous autant qu’ils étaient, plus particulièrement cette nouvelle hiérarchie et ces règles qu’ils imposaient aux citoyens, profitant de la faiblesse et de la peur de tous et toutes pour régner sur cette infime populace encore vivante. Il s’était promis qu’un jour, il allait renverser ce foutu système et faire payer ceux qui avaient osés les bafouer, ceux qui avaient été délibérément exclus de tous privilèges, vivant comme des parias, sans être à l’abris du danger, risquant la vie à chaque seconde de leur misérable vie. Azzam ne comptait pas en rester là, oh ça non.