Lylaï est solitaire. Lylaï est passionnée, parfois fantasque et hyperactive. Autonome, indépendante, déterminée. Elle n'est pas quelqu'un de désagréable, loin de là. Son comportement peut s'avérer aussi calme que volcanique, il lui arrive d'être assez impulsive. C'est une jeune femme qui pèse chaque mot, une de celle qui n'aime pas parler pour ne rien dire. Cela fait d'elle une personne assez difficile à cerner, entourée d'une aura sensiblement étrange. Car Lylaï observe beaucoup, analyse beaucoup. Elle peut parfois assister à une conversation sans dire un seul mot, son regard scrutant les alentours. Pourtant son visage s'éclaire lorsqu'elle sourit, il révèle une beauté d'âme étonnante, une douceur que l'on ne soupçonne pas sous ses rictus. Rares sont ceux à qui elle accorde ses véritables sourires. Lylaï n'ose plus véritablement s'attacher, en réalité. L'amour, l'amitié, la famille, toutes ces choses primordiales en son cœur sont à présent cadenassées sous un Bunker en béton armé. Elle est une âme triste, seule, mélancolique. Fourbue de regrets, ceux de n'avoir pu sauver ceux qu'elle aimait. Blessée dans sa solitude. La seule chose qui la fait tenir c'est son métier. Combattre ceux qui, pour elle, sont responsables du meurtre de son frère et de la disparition de sa petite sœur.
Si Lylaï s'avère être une personne de confiance, elle a beaucoup de mal à accorder la sienne. Cela fait quelques années qu'elle s'est rendu compte à quel point elle ne peut exprimer correctement ses émotions. Elle est incapable de dire je t'aime, se retrouvant toujours engluée dans une panique qui la fait très vite reculer face à l'ampleur de ce qu'elle peut ressentir...
Lylaï est, au plus profond d'elle, une créatrice. Compositrice de talent, elle est extrêmement mélomane et a développé un talent hors norme pour ce qui est du domaine de la musique. Depuis sa plus tendre enfance, la jeune femme écrit nombre de concertos, de symphonie ou de simples chansons qu'elle agrémente parfois de paroles. L'écriture, la musique sont ses plus grandes passions.
La pratique des arts martiaux a donné à Lylaï une force de caractère plutôt écrasante. Si elle peut se montrer calme et placide dans la vie de tous les jours, c'est une main de fer dans son travail de Eros. Elle porte sur ses épaules l'héritage de son frère défunt, ancien Eros, et ne compte pas faillir à cette tâche.
Mais au delà de son travail, de sa musique, de sa vie en solitaire, Lylaï ne souhaite qu'une seule chose. Retrouver sa sœur, ou la venger.
Il y a quelques mois.- Je n'en peux plus de ton mutisme.Elle ne bougea pas, le regard fixé sur les touches du piano. Immuables, indéfectibles touches ivoirines.
- Tu m'écoutes ?
La fumée de sa cigarette s'étendait en volutes épais autour de son visage lunaire.
- Lylaï ? Je pars. Ok ? C'est finit. Je pars.Le regard indifférent de la jeune femme s'échoua sur le sac, près de la porte d'entrée. Les deux verres de vin sur le comptoir de la cuisine n'étaient pas terminés, rien n'était à sa place, rien n'était rangé. Elle n'avait même pas tressaillit lorsque la voix de l'homme s'était brisée.
- ... Tu me dégoutes. Tu as tout gâché. Elle ne releva pas la tête lorsque le battant de bois claqua violemment contre le chambranle de la porte. Le silence oppressant de l'appartement s'abattit sur ses épaules comme un poids inextinguible.
Elle chantonna doucement une note, laissant sans le voir la cendre de sa cigarette se répandre sur sa robe de soirée. Puis son index vint s'abattre sur une note au hasard, celle ci résonna durant de longues secondes, grave, comme un glas.
♦
J'ai peur de la mort. De celle des autres. De leur perte, de la douleur. Je ne crois pas avoir toujours été hantée par ce sentiment, mais ma vie a fait qu'aujourd'hui... Cela fait partie de moi. C'est inexplicable, la mort. On a la sensation d'aller bien, de marcher sur un chemin parfaitement tracé, sur une route sûre et presque sereine sur laquelle on sait que l'on sera accompagné. Mais tout à coup, un pavé se dérobe. On tombe, on tombe dans l'abîme. Qu'est-ce qui a fait que ce jour là, cette journée précise et pas une autre, la pierre s'est dérobée ? ...
J'ai peur de la mort. De celle des autres, de celle des inconnus. Mais de la mienne aussi.
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Il y a dix ans. Lylaï se saisit du col du morveux devant elle. Malgré sa petite taille, elle mesurait toujours une tête de plus que lui et cela suffisait à impressionner le garçon.
- Tu fais chier ma soeur encore une fois, une toute petite fois... Je te jure que je le saurais. T'as intérêt à fermer ta petite gueule. Tu touches pas à Dawn. La jeune femme le relâcha, lui jetant un regard méprisant, puis fit volte-face et saisit le bras de sa soeur pour l'entraîner à sa suite. La pauvre enfant n'arrivait pas à suivre la large foulée de son aînée, pourtant elle ne lui laissa pas le choix et s'arrêta, quelques minutes plus tard, sur un trottoir isolé. Son expression avait changé du tout au tout. Là où régnait la colère flottait à présent une inquiétude grandissante.
- Dawn, ça va ? Tu es sûre ? Tu n'as mal nulle part ? Tu peux me le dire si c'est le cas, je te jure que je m'énerverai pas, c'est promis... Lylaï fit courir ses deux paumes sur les joues de l'enfant, caressant l'ovale du visage de sa petite soeur. Elles étaient tellement dissemblables toutes les deux. Leurs caractères étaient presque opposés, là où Dawn était discrète et effacée, Lylaï n'hésitait pas à élever sa voix. Tout, jusqu'à leur physique, était fondamentalement différent. Une brune pour une blonde. Elles ne se comprenaient pas toujours, n'étaient pas toujours d'accord, pourtant cela ne les empêchaient pas d'avoir ce lien spécial. Elles étaient sœurs, c'était tout. Elle n'avait que neuf ans, ces sales gosses n'avaient aucune pitié pour les petites filles comme elles. Dawn était pas différente, elle était spéciale. Spéciale de la bonne manière, fascinante dans ses contemplations, captivante avec ses grands yeux intelligents. Les mêmes que Tobias. Ils avaient tous les trois ces prunelles bleues pâles, héritage de leur père.
Lylai se saisit de la main de Dawn et reprit la route de leur maison, ne cherchant pas une autre réponse de sa sœur que le petit sourire et le hochement de tête qu'elle lui avait adressé.
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Lylaï gardait ses mains jointes sur ses genoux, le visage baissé. Elle n'essuyait plus ses joues dégoulinantes de larmes, incapable de réfréner les sanglots qui déchiraient sa poitrine. La jeune femme ne pouvait se résoudre à observer le visage de son grand frère, à sa droite, ni le minois de sa petite sœur, colée contre elle. La voix de l'ecclésiastique résonnait dans les voutes de la grande église. Il se tenait derrière deux cercueils croulant de bouquets, de fleurs en tout genre. Au centre, deux photos, deux visages souriants et inoubliables. Leurs parents leur avaient été arrachés si brutalement, elle était seulement en train de réaliser que jamais plus elle ne pourrait les revoir. La cérémonie était hors du temps, interminable, pourtant elle ne se rappela pas d'avoir marché jusqu'aux cercueils pour leur dire au revoir. Elle revoyait seulement la procession de ces silhouettes noires, fantômes sombres aux mines défaites. Le bruit des talons contre les dalles, l'odeur des bougies et des lys, des roses blanches, les paroles insensées que lui adressaient les convives...
L'air frais la cueillit lorsqu'elle passa les portes de l'église. Ils étaient les derniers à être sortis. Sur le parvis étaient rassemblés tout ceux qui les accompagneraient jusqu'au cimetière, jusqu'à la mise en terre. La jeune femme vacilla durant quelques secondes, ses yeux fatigués éblouis par la lumière brillante de l'après midi. Comment trouverait-elle le courage d'avancer jusqu'à leurs tombes ? C'était tellement définitif. Elle ne voulait pas voir, elle ne souhaitait pas assister à cette cérémonie morbide. Elle ne voulait pas imaginer ses deux parents si souriants enfermés dans deux boîtes, sous terre. C'était inconcevable. Maman serait là quand ils rentreraient, occupée à travailler, et papa serait en train de préparer le diner comme...
Une main se glissa dans la sienne, sa poigne raviva ses doigts inertes. Lylaï releva la tête vers Tobias. Il avait déjà séché ses larmes.
- Allez Lylaï. On est ensembles. Tant qu'on est ensembles tout ira bien. Il du tenter de lui sourire, mais il ne parvint qu'à grimacer. Sa grande main se glissa dans sa nuque, il embrassa son front dans un geste fraternel et protecteur. Sa bouche s'arrêta près de son oreille.
- Je t'en prie, il faut qu'on soit forts. Je ne sais pas quoi faire pour Dawn, s'il te plait, aide moi... Lylaï plongea ses yeux bleus dans son regard jumeau, dans le regard azur et tourmenté de Tobias. La jeune femme essuya du revers de sa main sa joue droite alors qu'elle cherchait Dawn. Son coeur se serra lorsqu'elle vit la petite silhouette se détacher entre les sièges de l'église. Il avait raison. Ils devaient se serrer les coudes pour elle. La blonde hocha la tête puis se recula et s'avança vers l'enfant. Lorsqu'elle ressortit de l'église, leurs trois mains étaient jointes.
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Il y a 7 ans.- Dawn, tu es prête ? Cria Tobias du bas des escaliers.
Lylaï pianotait sur son téléphone, assise sur sa valise dans l'entrée. Ils partaient tous les trois pour New York aujourd'hui. Cela avait toujours fait partie de ses rêves, mais lorsque Lylaï avait formulé le souhait de partir au conservatoire national de musique elle ne s'était pas attendue à ce que sa famille la suive. Tobias s'était rapidement décidé, certain qu'un nouveau départ leur ferait du bien. La jeune femme jeta un regard à son grand frère. Il s'était métamorphosé durant ses trois dernières années. Depuis la mort de leurs parents, il avait prit le rôle du chef de famille. Il était devenu le pilier, le médiateur, l'instructeur. Il subvenait à leurs besoins, il alimentait chaque jour leur bonheur. Lui seul parvenait à faire sourire Dawn à pleine dents, lui seul parvenait à comprendre Lylaï. Il était le ciment, l'épaule, leur frère.
Lylaï n'avait jamais vraiment aimé Boston. New York fut un véritable coup de coeur, elle aima absolument tout ce qu'elle y vit. Les rues, les taxis, les ponts, les magasins, les cafés. Elle aima même l'appartement qu'ils trouvèrent, un trois pièces un peu miteux. Mais le plus jubilatoire était le conservatoire. La jeune femme avait travaillé d'arrache pieds pour parvenir à obtenir une bourse, aujourd'hui elle ne semblait pas pouvoir être plus heureuse.
Lorsque la lune rouge arriva, des années plus tard, Tobias était entré dans les forces de police depuis plusieurs mois. Lylaï terminait sa dernière année de cursus au conservatoire, Dawn était toujours dans en études. Cela ne bouleversa pas grandement leur quotidien, du moins Lylaï fut trop absente pour s'en rendre compte. Lorsque Tobias rentra chez les Eros, il défendit Lylaï d'en faire de même. Peut-être que cela l'aurait sauvé, cette nuit là.
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Il y a deux ans.
Je gardai mes mains jointes sur mes genoux, le visage baissé. Je n'essuyai plus mes joues dégoulinantes de larmes, j'étais incapable de réfréner les sanglots qui déchiraient ma poitrine. La voix de l'ecclésiastique résonnait dans les voutes de la grande église. Il se tenait derrière un cercueil croulant de bouquets, de fleurs en tout genre. Au centre, une photo, un visage souriant et inoubliable. Tobias m'avais été arraché si brutalement, j'étais seulement en train de réaliser que jamais plus je ne pourrais le revoir. La cérémonie était hors du temps, interminable, pourtant je ne me rappelai pas d'avoir marché jusqu'aux cercueils pour lui dire au revoir. Je revoyais seulement la procession de ces silhouettes noires, fantômes sombres aux mines défaites. Le bruit des talons contre les dalles, l'odeur des bougies et des lys, des roses blanches, les paroles insensées que m'adressaient les convives...
Je me revoyais des années plus tôt, dans cette église, accompagnée de ma fratrie. Il ne me restait rien d'eux. Mon aîné rejoindrait bientôt mes parents sous terre. Quant à Dawn... Je n'avais aucune idée d'où elle se trouvait. Si elle était morte ou bien vivante.
La Lune Rouge ne s'était jamais montrée si cruelle envers nous.
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Il y a quelques mois. Je l'ai rencontré lors de mon premier jour chez les Eros. Je me suis engagée trois jours après la mort de Tobias, sûre de trouver une piste pour retrouver Dawn. Il m'a tapé dans l'œil dès la première minute, pourtant je n'étais pas vraiment le style de fille qui tombe amoureuse. Mais je suis tombée pour lui comme une pierre au fond d'un puits. Il avait ce quelque chose dans le regard, un air taquin et moqueur. Il était beau, grand, blond. Il était marié, aussi.
Je l'ai su dès le premier jour. J'aurais pas du lui sourire comme ça... Il n'aurait pas du me répondre non plus. C'était déjà trop tard.
Il s'appelait Piers.
Il me raconta qu'il n'aimait plus sa femme, que cela n'avait pas d'importance, que de toute façon il allait la quitter.
Il a visité mon lit pendant presque deux ans, étanchant ma peine infinie lors de longues soirées, séchant mes larmes lorsqu'une fois de plus, je n'avais reçu aucune nouvelles de Dawn. Mais chez moi n'était pas chez lui. Nos mots n'étaient que des murmures, nos gestes étaient discrets, nos mains ne se frôlaient jamais en public. Je me sentais sienne, il n'était pas mien. Et je ne réussissais pas à accepter l'alliance à son doigt, je ne pouvais pas. Je n'étais pas une femme jalouse mais je ne supportais plus cette situation. Après deux ans, il n'avait toujours rien fait.
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Lylaï fit sonner l'accord final de la symphonie qu'ils venaient de jouer ce soir. Le public se leva, généreux dans ses applaudissements. L'orchestre se leva, chaque pupitre salua, les cordes avec les cordes, les cuivres avec les cuivres... Et bientôt elle bascula dans l'ombre des coulisses, le corps encore secoué par les vagues de musique qui avaient déferlé sur la salle. C'était bon, la scène, les accords, tout cela c'était son sanctuaire. Jamais rien ne venait la perturber sur scène, les ennuis restaient en loge. Il y avait toujours un cocktail après les représentations en grande pompe. La jeune femme avait un contrat à assurer plus tard dans la soirée, se charger d'une bande de Dué, les localiser et les neutraliser. Elle pourrait ainsi patienter jusqu'à l'heure à laquelle ses cibles étaient sensées se montrer. Son sac hissé sur l'épaule, la jeune femme enfila sa veste et se dirigea vers le hall de réception. Elle n'avait jamais aimé se mêler à la foule après être passée sur scène, c'était inconfortable. Un dur retour à la réalité, si l'on pouvait dire cela comme ça. Les regards suivaient les musiciens, cherchant de l'attention. Mais Lylaï se dirigea directement vers le bar, fendant la foule sans se préoccuper des convives. Son coca à la main, elle s'assit au bar avec soulagement, cherchant à se détendre après toute la tension retenue dans ses membres. Une jeune femme blonde à l'air pétillant vint se planter devant elle.
- Bonjour ! Je n'osais pas venir mais... Je devais absolument vous dire que vous aviez été fantastique !Lylaï eut un sourire sincère, hochant la tête en signe de remerciement.
- Merci beaucoup, c'est toujours agréable de... La pianiste se stoppa dans son élan, son cœur marquant un bond dans sa poitrine. Une main venait de se poser sur la taille de son interlocutrice blonde, une main avec une alliance, une main d'homme.
- Piers... !Le visage de l'homme se décomposa durant une demi seconde lorsqu'il comprit qui se tenait en face de lui. Le visage poupon de sa femme se redressa vers lui, tout sourire, son regard interrogatif braqué droit sur lui. Piers se composa un sourire radieux une demie seconde plus tard, le regard rendu aiguisé par la délicatesse de la situation.
- Murphy... Je t'avais pas reconnue sur scène. Eleonore, voici Lylaï, une collègue Eros. Ils s'observèrent, tous les trois, Eleonore ne se doutant pas une seule seconde du lien qui unissait son mari et la pianiste. Lylaï se força à sourire. Le cœur battant, elle les détailla tous les deux, serrés l'un contre l'autre, les mains liées. Ils semblaient proches, soudés. Ce fut lorsqu'elle remarqua que leurs deux paumes reposaient sur le ventre sensiblement arrondi de la jeune femme qu'elle ne put en supporter davantage. La pianiste brisa le silence inconfortable en claquant sa paume sur le bar avec dynamisme.
- J'ai été ravie de vous rencontrer, Eleonore ! Ma nuit n'est cependant pas terminée, j'ai du travail ce soir. Je vous souhaite à tous les deux une très bonne soirée.Un sourire vaporeux plus tard, Lylaï s'était levée. Alors qu'elle marchait à grand pas vers la sortie, la jeune femme termina son verre d'une traite.
♦
Il frappa à sa porte vers quatre heures du matin. Elle s'était enfermée ici depuis plusieurs heures, incapable de sortir accomplir son devoir d'Eros. Chamboulée, le cœur en vrac. Quel mensonge avait-il encore raconté à sa femme pour venir la rejoindre si tard ? Le visage fermé, Lylaï alla déverrouiller l'entrée et tira sur la poignée pour lui ouvrir la porte. Elle ne prit pas le temps de le regarder, c'est le pas lent et lourd qu'elle se détourna. Piers entra sans dire un mot et claqua la porte derrière lui.
- Écoute Lylaï... Lylaï alla s'asseoir sur le tabouret du bar qui faisait la jonction entre la cuisine et le salon. Un demi sourire cynique éclaira son visage avant qu'elle ne dise :
- Tu comptais me le dire quand ? Tu comptais me tenir au courant de l'idylle que vous vivez ? Tu comptais me jeter au bout d'un moment, ou la jeter elle et votre gosse ?Il y eut un silence pesant. Piers ne bougea pas durant plusieurs secondes, l'air vibrait tant la tension était palpable. Puis il se dirigea vers la cuisine, ouvrit un placard, en sortit deux verres et alla chercher une bouteille de vin rouge dans le cellier. Toujours en silence, il attrapa le tire bouchon et entreprit de leur servir deux larges verres. Il connaissait sa maison par cœur. Il savait exactement où se rangeaient les choses, il avait passé tant de temps ici, à cuisiner, à lire, à lui parler, à la faire rire, à lui faire l'amour... L'homme fit glisser le verre de vin rouge devant les mains nouées de Lylaï, il chercha son regard.
- Ne te fâche pas. Tu t'attendais à quoi ? T'étais au courant. C'est ma femme.
- Je m'attendais pas à ça en tout cas. Tu... Tu m'as mentit en fait. Je pensais pas qu'elle... Je... Je peux pas... Je l'ai vue et...
- Qu'est-ce que ça peut bien faire Lylaï, que tu l'aies vue ? Ca change pas la réalité. Ca fait deux ans que tu es ma maitresse. C'était la même femme au début, rien n'a changé.
- Si en fait. Parce que je pensais que t'allais la quitter. Mais maintenant je vois bien que tu t'es foutu de ma gueule.
- Tu ferais bien de redescendre sur terre ma pauvre, bois un coup. Je peux pas discuter avec une hystérique comme ça.
- ... J'ai pas envie de boire un coup. T'aurais du me dire. T'aurais du me dire que t'es heureux avec elle plutôt que de m'affirmer le contraire.
- Arrête de dire des conneries. On sait tous les deux très bien que ça t'aurait dévoré de l'intérieur. Vous êtes toutes pareilles de toute façon, incapable de cautionner le partage... Pourquoi tu crois que je t'ai menti ?
- Est-ce que tu tiens au moins un peu à moi ou je suis juste... un trou ?
- Sois pas stupide Ly'...
- Je peux pas continuer comme ça, j'en peux plus.
♦
Nous savons tous comme ce genre d'histoire se termine. L'un des deux partis se fait toujours automatiquement prendre pour un con. Cette fois ci, c'était moi. J'y avais vraiment cru, j'y avais cru dur comme fer. Je pensais sincèrement qu'il allait la quitter pour moi... Mais je me suis rendu compte quand je l'ai vu à côté de sa femme qu'il n'avait fait que me mentir. Il a but tout le vin, pourtant nous n'avons plus vraiment parlé. Il me répétait parfois quelques phrases. "J'en reviens pas, tu veux qu'on arrête ?" "Parle." "Parle, Ly." "De toute façon tu savais depuis le début que c'était pas sérieux." Moi je voulais plus parler.
Alors nous ne parlâmes plus du tout. J'avais les yeux baissés sur mon verre de vin complètement plein. Puis à un moment, il disparu dans ma chambre. Je cru qu'il était parti se coucher, mais il revint avec un sac plein.
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- Je n'en peux plus de ton mutisme.Elle ne bougea pas, le regard fixé sur les touches du piano. Immuables, indéfectibles touches ivoirines.
- Tu m'écoutes ? La fumée de sa cigarette s'étendait en volutes épais autour de son visage lunaire.
- Lylaï ? Je pars. Ok ? C'est finit. Je pars.Le regard indifférent de la jeune femme s'échoua sur le sac, près de la porte d'entrée. Les deux verres de vin sur le comptoir de la cuisine n'étaient pas terminés, rien n'était à sa place, rien n'était rangé. Elle n'avait même pas tressaillit lorsque la voix de l'homme s'était brisée.
- ... Tu me dégoutes. Tu as tout gâché. Elle ne releva pas la tête lorsque le battant de bois claqua violemment contre le chambranle de la porte. Le silence oppressant de l'appartement s'abattit sur ses épaules comme un poids inextinguible.
Elle chantonna doucement une note, laissant sans le voir la cendre de sa cigarette se répandre sur sa robe de soirée. Puis son index vint s'abattre sur une note au hasard, celle ci résonna durant de longues secondes, grave, comme un glas.
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La note finale. C'était terminé. Je n'avais plus personne.
Ou bien si, j'avais quelqu'un.
J'étais enceinte de lui. Incapable de lui dire, dégoutée par cette chose qui m'avait remplie de joie quelques jours plus tôt. Lui ? Je ne l'aimais même plus.