Amaury, c'est une tornade, un typhon. Une pile électrique. Ce besoin irrépressible de bouger, rester statique pendant des heures est un supplice à ses yeux. Il préfère être libre et sentir le vent le porter, parce que le trentenaire ne supporte pas cette sensation d’être enfermé dans une cage comme un oiseau rare gardé en captivité. Oh non, il n’aime pas avoir le sentiment d’être précieux animal que l’on garderait jalousement. Ça le tue de ne pouvoir être dehors comme avant, parce qu’il avait des rêves pleins la tête Amaury, ces envies de voyager, découvrir le monde. Tel un enfant émerveillé lorsqu’il pouvait courir sur l’herbe fraiche ou dans la neige encore vierge. Ce sentiment de liberté, il sent qu’il l’a perdu lorsque la Lune Rouge est arrivée, depuis que les Hommes se sont divisés. Qu’il est enchainé depuis ce fameux Noël où tout a bousculé, il se sent comme entravé, comme si le moindre de ses gestes était une nuisance. Ça le tue, ça le ronge à petit feu.

Une seule liberté lui est resté, toujours frivole. Papillon de nuit. Virevolte sans s’arrêter, il va où bon lui semble. Homme à femmes – hommes ? Non, il profite tout simplement du peu de jeunesse qu’il lui reste – selon ses dires. Il cherche juste un peu de compagnie pour se réchauffer une nuit, peut-être même deux, voire plus si son cœur balance. Il vous fait tourner la tête le temps d’une étreinte charnelle, vous fait perdre vos sens, vous charme de sa voix suave en vous murmurant au creux de l’oreille. Essayant parfois de faire chavirer des cœurs, ou parfois simplement se glisser dans leurs draps et profiter d’une douce chaleur.

Sans aucun doute légèrement plus distant, moins papa poule que l’aîné Leroy. Il n'est pas du genre à surprotéger, materner et sermonner. Il guette du coin de l’œil, il se fait discret, tel votre ombre. Il ne se manifeste seulement quand besoin est. Il agit dans votre dos, pour votre bien, pour vous arracher un sourire. Parce qu'il se rattache à sa famille, ce qu'il lui reste de plus précieux dans ce monde tordu, corrompu. Il s'y accroche, du bout des doigts, il effleure ce qu'il lui reste, le chéri à sa façon. Dans le fond, il a peur de perdre ce qu'il lui reste, ses deux frères, de se réveiller un matin et de se retrouver seul. Il a peur de se retrouver seul, mais il a peur pour eux. Que malheur leur arrive, il le craint. Quand il y songe, il est paralysé d’effroi, la boule au ventre au ventre, la peur le ronge, elle le dévore, elle l'enlace tendrement, se joue de lui. Amaury il est contradictoire, complexe. Il a parfois ces moments de tendresse, sans raison valable, où il leur offrira ce petit quelque chose qu’il aura eu par ses propres moyens, où il les serrera dans ses bras. Pour voir cette étincelle dans leurs yeux, rallumer cette flamme dans leur regard qui aurait pu s’éteindre avec le temps.

Il a cette facette calme qui n’est que façade. Faisant mine de garder son sang-froid dans les situations critiques. Tout n’est que mensonge, il s’emporte bien trop vite Amaury. Il parle vite, bien trop vite quand il s’énerve. Agissant presque sur un coup de tête, il a le sang chaud. Il a de la rancune envers les autres, ceux qui usent des mots pour blesser, ceux qui se permettent de cracher sur les hybrides et de les fouler du pied. Il serre les poings et se laisse emporter. Comme ce jour, ce jour où une main s’était levée, il avait rendu les coups. Aussi fort qu’il pouvait. Il serre les dents sans broncher, il encaisse sans mot dire. Pour les autres, pour ses frères. Sans doute se croit-il plus fort, ou bien se refuse-t-il de les voir se faire violenter. Ça n’est pas rare de le voir rentrer avec les bras contusionnés, criblés de marques de poings. Il fait mine que tout va bien, qu’il ne s’est rien passé. Il reste interdit sur le sujet pour ne pas se faire reprendre par Maximilian, pour ne pas lui causer du souci, il se contente d’un petit « Mais oui je t’assure, j’ai pas mal ». Mais Amaury, il est un peu trop brute parfois, un peu maladroit dans ses propos. Le tact n’est pas une chose innée chez ce bougre. Trop franc, peut-être parfois blessant. Il ne mâche pas ses mots, il ne réfléchit pas toujours aux conséquences, au poids de ses paroles.

Il n’en fait qu’à sa tête Amaury, on ne doit lui dire quoi faire. Une bourrique qui refuse de se faire marcher dessus, de courber l’échine face aux autres pour leur faire plaisir. Le blond se refuse d’être le pantin parfait, d’être facile à manipuler, à rouler, à embobiner, influencer. Il n’ira s’enliser dans vos rets que vous avez soigneusement prit le temps de placer pour l’y attirer, parce qu’il refuse de se laisser soumettre. Farouche, indomptable. Par fierté, qu’il ne veut dégrader.

Le cœur en fête, l'esprit léger en ces périodes, un peu comme un grand enfant devant toutes les lumières festives. Le vent glacé de décembre mordait le bout de son nez légèrement rougit par le froid, les yeux levés sur la mise en scène qui se trouvait face à lui. Il se sentait joyeux. Les rues se couvraient d'un manteau blanc immaculé, tout semblait si vivant, entre les passants pressés pour leurs derniers achats, les touristes venus admirer la ville pour cette période si particulière. Tout reflétait la magie de Noël en ce 21 décembre. L'exaltation de cette date importante, l'anniversaire des jumeaux Leroy. Comme tous les ans, ce jour-là, ils avaient fêté leur anniversaire ensemble. Les rires résonnaient entre les murs de l’appartement en 21 décembre.

Son regard suivait Maximilian qui s’absentait sur le balcon avant de perdre son regard dans le vide, dans les cieux au travers de la vitre. Elle avait attisé sa curiosité, cette lune qui venait étreindre le soleil. Obnubilé par ce qu’il se passait, son regard ne pouvait se détacher de ces deux orbes qui se rejoignaient. Ils s’enlaçaient, dansaient dans les cieux qui prenaient une teinte sanguine. Il avait une boule au ventre Amaury, il déglutissait en observant ce spectacle d’une rare beauté. Et puis il était revenu à la réalité – soudainement - à ce qu’ils fêtaient, l’air grave qu’il avait sur son visage disparaissait. « Qu’est-ce que tu fais ? Reviens sale bougre. » L’envie de profiter de ce moment, de cet instant. Qui par la suite allait être bouleversé, personne ne s’en doutait, que leurs vies allaient être retournée à jamais. Une vague d’affolement sur les réseaux alors qu’il y passait simplement pour remercier ses amis qui lui souhaitaient un joyeux anniversaire, qui finalement, ne l’était pas comme il l’espérait. Tout s’était passé si vite, en un claquement de doigts. Amaury avait à peine eu le temps de cligner des yeux que tout avait disparu, les réseaux sociaux, les appels ne passaient plus, impossible de savoir comment allaient ses parents. La peur lui bouffait les tripes alors que l’odeur du conifère brûlé imprégnait les rues. Il était désorienté Amaury, il avait peur. L’aîné avait soigneusement enfermé ses frères pour qu’ils ne leur arrive malheur. Il était consciencieux, veillait chaque jours à ce qui se passait en ville. Les cris et les pleurs résonnaient dans les rues, le bruit des fracas de vitrines. Ces personnes dehors semblaient avoir perdu toute humanité, ils s’étaient laissés aller à leurs instincts primaires. Des sauvages, des animaux en liberté, prédateurs pour certains, proies pour d’autres. Le genre humain avait sombré sans la folie, il s’était laissé aller au pire. Les orbes bleutés d’Amaury se posaient sur ce chaos au travers des fenêtres, ses tripes se retournaient à voir les cadavres aux sols, des innocents appeler à l’aide alors qu’ils subissaient toutes sortes de sévices. Et puis il y a eu ces autres prédateurs, ces animaux qui avaient reçu cette malédiction, qui en faisait des bêtes assoiffées de sang. Dans ce monde, désormais, c’était tué ou être tué. Seul le plus fort pouvait l’emporter.

Un cri avait brisé le silence lourd de l’appartement, extirpant le trentenaire de son sommeil. Il se retournait dans son lit, songeant que son frère aîné avait simplement fait un cauchemar. Les paupières lourdes, il rejoignait les bras de Morphée, un autre cri résonnait entre les murs. Lourdement, il se levait pour voir Maximilian. Le pas lourd, encore dans les vapeurs du sommeil. La lumière sous la porte l’interpellait, doucement, il la poussait. Le blond ne trouvait pas ses mots en voyant l’état de son jumeau, il avait beau ouvrir la bouche, rien de sortait. Comme si ces mots restaient coincés au travers de sa gorge. Du sang, trop de sang, beaucoup trop de sang. Le visage livide de son jumeau. « Qu’est-ce… Qu’il se passe Max’ ? Pourquoi tu saignes autant ? » Une main venait se poser sur son épaule alors qu’il cherchait de quoi panser les plaies, il les avait vus, les bouts de ses doigts devenir aussi clairs que du cristal. Ses yeux s’écarquillaient, la panique l’envahissait, il ne comprenait rien à la situation, tout aussi désemparé que Maximilian. « C’est quoi ce bordel ? » Une sensation morbide. Tout semblait irréel, improbable. Et pourtant. Il avait l’impression de disparaître. Trop absorbé par ce qui lui arrivait, il n’avait pas remarqué son frère fuir, s’enfermer dans sa chambre. Pour ne pas ouvrir, ne pas répondre ou même donner tout signe de vie. La solitude pesait sur les épaules d’Amaury, il s’asseyait près de sa porte, parfois en restant muré dans le silence, à attendre bêtement. Parfois il relisait de vieux livres de vive voix, en espérant que son frère l’écoutait derrière la porte. Il ignorait ce qu’il se passait dans cette pièce, il se contentait de voir l’avancement de sa mutation, ses membres qui devenaient aussi translucide que des sculptures de verres. Il lui arrivait d’avoir mal lorsque sa mutation progressait, il serrait les dents en prenant sur lui. La sensation d’avoir les extrémités engourdies toute la journée, qu’elles devenaient lourdes avec le temps, il avait l’impression que ses poignets et ses chevilles allait casser sous le poids de son corps, que ce n’était que de vulgaires parties fragiles et volatiles. Le blond craignait de se retrouver face contre terre. Avec le temps, ses mains et ses pieds n’étaient plus endoloris, il arrivait à marcher sans avoir à se demander s’il n’allait pas se briser les chevilles. Il les regardait, longtemps, silencieusement. La lumière qui en passait au travers. Cette vision trouble de ce qui se trouvait sous ses pieds. Moment de flottement, soulagement. Des larmes roulaient le long de ses joues, s’écrasant sur ses mains. Ignorant pourquoi.

Maxwell avait pris les choses en main pour rétablir de l’ordre dans ce chaos sans fin. En excluant par la même occasion tous les hybrides, il l’avait compris en sentant les regards emplis d’animosité qui se posaient sur lui alors qu’il errait dans les rues, dévoilant ses membres cristallins. Il les dévoilait, il n’en avait pas honte. Il gardait la tête haute, ignorant leurs remarques, leurs murmures dans son dos, les insultes criées à la volée. Le blond s’était retourné vers un homme qui avait osé lui cracher dessus tout en ricanant d’une voix éraillée. « Un problème peut-être ? » Ce dernier s’était contenté de lui rire au nez sans répondre. Agacé de son attitude arrogante, le trentenaire avait frappé. Aussi fort qu’il le pouvait, pour le faire taire, pour lui faire ravaler ses insultes. Il n’arrivait pas à s’arrêter, se contenir, ça le dévorait, ça le démangeait de le laisser là dans un sale état. Le regard effrayé des passant l’avait ramené à la dure réalité. Il le laissait au sol. Enfonçait les mains dans ses poches pour rentrer au plus vite. Et puis il avait vu Maximilian, ses marques sur sa peau, la plaie sanguinolente sur sa joue. « Bon dieu, mais qui a osé te faire ça Max’ ? Si je les attrape, je te jure que je leur ferais bouffer leurs dents à ces salauds. » Il n’arrivait à garder son calme, il bouillonnait en voyant son piteux état. Sa mâchoire se serrait presque machinalement en songeant comment leur faire payer ce qu’ils avaient osé faire. Il s’emportait Amaury, il avait envie de frapper fort Amaury, de leur faire regretter ce qu’ils avaient fait. Il était hors de question que l’on s’en prenne à Maximilian ou Valentin. Un sourire de façade se dessinait sur les lippes de son jumeau, malgré son « Ne t'en fais pas avec ça… C'est pas grave. » il disait tout autre chose, il montrait bien qu’il avait mal dans le fond. Son poing se serrait, venant heurter le mur dans un bruit sourd. « Fais chier. » Amaury s’était senti impuissant, incapable. Doucement, il l’enlaçait, pour le rassurer, pour lui rappeler qu’il n’était pas seul. « Ça va aller frangin, je suis là maintenant. »