On peut réellement détester Elizabeth. C’est toléré par la loi et allégrement apprécié tellement son allure affirmée et malicieuse peut en enrager plus d’une. Prétendue misanthrope et intéressée uniquement par l’argent que ses clients déposent gentiment au casino, son sourire est le plus faux des masques portés dans les lieux de luxe qu’elle fréquente souvent contre son gré. Avec ses beaux vêtements, ses talons qui claquent, ses gants en satin et sa chevelure aussi violacée qu’une lavande monopolisée par une abeille, Elizabeth agace. Personne ne comprend sa réussite dans les quartiers de Manhattan – excepté la notoriété du gentil papa anciennement chef d’une brigade policière de la ville. La jetset et la beauté règnent sur Lizzie comme s’il s’agissait d’une reine. Reine du bluff, des coups montés et du mystère – il lui faut gérer correctement son business afin que le casino fonctionne comme il se doit. L’Orpheus est bien plus côtoyé qu’il n’y paraît ; les américains ont besoin de s’amuser, de se détendre, de flirter et surtout de dépenser. Dépenser, oui ; c’est le premier mot qui vient à l’esprit des femmes piaillant sur l’ancienne flic. Evidemment, si ses fidèles clients claquent les billets, elle n’en montre aucunement la verdure. Ses dollars restent dans sa poche et ne sont mentionnés que si la cause se justifie. Beauté irritante, papa riche et radine, en plus de ça ? Comment quelqu’un sur terre arriverait à apprécier, voire aimer un tel être englouti dans son ego et sa carrière florissante et corrompue ? Les hommes la veulent pour ses formes et son argent dissimulé, les femmes la détestent pour ses secrets. Elle, elle veut les deux pour n’importe quoi. « C’est la vie, on se rencontre bien pour une raison ».
La vie, oui, c’est bien ce qualificatif que nous donnons à ce chaos sans nom depuis les derniers événements ces dernières années. Pourtant, injustice serait sûrement le maître mot de ce qui se dit derrière le dos d’Elizabeth Kreine. Avare ? Oui, mais à ses besoins personnels et à l’entourage qui le mérite. Riche ? Elle s’est démenée pour arriver à une telle carrière qu’elle n’aurait jamais cru vivre un jour. Misanthrope ? S’il vous plaît, ce n’est qu’une couverture afin de ne pas se faire cracher sur le visage. Le monde est hideux et elle n’a aucune envie de connaître l’humain qui véhicule de telles paroles sur sa personne. Elizabeth peut être détestée tout comme être aimée ; sous son masque prestigieux se cache une soif de justice, une envie de réformer les choses dans ses idéaux bien que cela soit souvent impossible. Un peu d’efforts ne créé pas la vraie douleur d’une défaite et Lizzie l’a bien compris. On lui hurle à l’oreille le prénom de son père, or elle ne dépend plus de lui et sa haine envers les êtres tels que lui existe sans même qu’elle l’exclame aussi fort que les rumeurs sur son cas. Le temps c’est de l’argent, et l’argent, c’est ce qui donne les moyens d’avancer dans ces restes de capitalisme. Elizabeth continue de suivre à la logique tout en créant son propre chemin derrière ceux qui ne croient pas en elle. C’est une femme compréhensive, aimante envers le peu de proches qu’elle peut garder dans sa poche et puissante avec les poids qu’elle soulève autour de toute cette brillance et ce luxe. Evidemment, elle n’a aucune envie de s’occuper du malheur des autres – c’est le sien qu’il faut d’abord gérer dans cette injustice. Or, son attitude de flic insatisfaite et son don qu’elle n’a jamais demandé à personne et qu’elle ne préférerait pas avoir créent en elle un paradoxe qu’elle ne sait encore résoudre par sa propre volonté et son esprit. La talentueuse patronne, sous son masque d’une femme forte, imperturbable et égoïste, est simplement une adulte dans la crise de la trentaine, jeune dans son âme, Némésis de son géniteur et en incompréhension envers l’humanité dont elle fait partie.
C’est le début d’une femme parfaite. Assis au fond du bar, je la vois souvent entrer ici les mardis et les vendredis soirs, comme si son identité importait peu dans un endroit aussi légèrement fréquenté par les agapè. Elle pose brusquement son large sac noir Michael Kors et demande un café au lait avec un sucre ; boisson douce et chaude pour une femme qui, pourtant, prétend être frigide et manipulatrice sur son plateau d’échecs. D’un geste délicat, elle amène sa mèche de cheveux baladeuse derrière son oreille gauche et utilise sa main droite pour pianoter rapidement sur son téléphone posé à plat sur la table. On ne devine sa fatigue que par les cernes sous son regard coloré.
Son café arrive. Elle attend qu’il refroidisse pendant deux petites minutes seulement avant de l’ingurgiter sans prendre la peine d’en ressentir le goût et l’énergie. Elle semble avoir besoin de vitamines ; je me questionne sans pour autant me prononcer, me fondant dans le décor de celle qui tient le fameux casino « l’Orpheus » au centre de Manhattan. Sa seconde commande ne se fait plus attendre et dévoile plus amplement ce dont l’adulte a besoin d’évaporer : la tristesse.
Son verre de whisky arrive, le second suit et le troisième court. Elle grimace à chaque gorgée et, malgré tout, continue d’ingurgiter son remède miracle jusqu’à ce que les premiers effets l’amènent à ricaner et retirer son gilet gris en laine. Le barman lui demande si elle se sent bien : tout va pour le mieux du monde. Elle n’a jamais été aussi heureuse un soir de fin de boulot, fait-elle remarquer en tapotant des doigts sur le bois verni.
C’est enfin à ce moment précis qu’elle remarque ma présence. Ses yeux découvrent enfin où elle se trouve, se réveillent et se questionnent sur ce qui est vraiment présent matériellement ici. Les claquements de ses talons résonnent jusqu’à la table où je me trouve et l’odeur du whisky envenime mes narines. Heureusement que moi j’aime ça.
- «
Bah tiens, on sort pas accompagné un vendredi soir ? »
Ce fut la première phrase qu’elle m’a adressée cette nuit-là. Une longue nuit où j’ai fait l’erreur – ou la bonne action, de lui lancer à mon tour :
- «
Vous non plus, on dirait. »
Elizabeth regarde le calendrier accroché dans sa chambre la première seconde où elle ouvre les yeux. Neuf mai ; oui, c’est son anniversaire. Onze ans qu’une journaliste et un sheriff l’ont mise au monde alors qu’un orage effroyable frappait la capitale du Royaume-Uni alors que sa génitrice d’origine anglaise passait des vacances avec sa famille, sous la compagnie de son nouveau petit-ami américain et archétype des beaux garçons de séries télés à la mode de l’époque. Une dentition parfaite, une chevelure impeccable et des muscles saillants – comment la petite demoiselle timide et maladroite qu’elle était aurait pu attirer le regard d’un homme au futur prometteur ? Personne le sait, ni même lui. Arthur Kreine semblait être un homme de rêve pour tous ; voilà pourquoi Elizabeth est devenu le fruit de leur amour.
C’est ce qu’Ann racontait à sa petite protégée pour se rassurer de ne pas avoir gâché sa vie. En même temps, ses parents ont toujours été ravis d’avoir un gendre aussi irréprochable. Le voilà à la tête d’une brigade de policiers, à sauver la veuve et l’orphelin ou même à protéger la population ! Arthur est un héros du quotidien. Elizabeth adorait raconter à tout le monde à quel point son papa était fort, intelligent et merveilleux. C’était son modèle à suivre ; elle deviendrait policière comme papa. Cela semblait être le chemin qui lui paraissait le plus logique et ce qu’on lui répétait souvent à table. Et maman ? Maman, on s’en fiche un peu. Elle écrit quelques articles sur le festival du cookie dans l’Ohio, ce n’est pas important ni même une preuve de réussite. Ça, les adultes ne le disent pas mais, pourtant, le pensent. Les enfants, eux, ne font que le ressentir dans les regards des amoureux partageant une vie paisible à New York, la ville où tout rêve peut se réaliser. C’était la devise d’Ann avant de quitter son pays natal : vivre ses rêves. Une vie que tout le monde envierait.
Pourtant, Elizabeth a compris que quelque chose clochait dans ce si joli rêve ce neuf mai précis. Remarquant deux bougies formant le numéro un sur le gâteau qui n’avait pas encore été cuisiné, Lizzie jetait simplement un coup d’œil sur elles, posées dans un coin de la cuisine. Maman allait sûrement s’en occuper après avoir travaillé durement sur ses écrits. Pour être sûre, elle se permet tout de même de l’interrompre en venant lui rendre visite dans son bureau.
- «
Bon anniversaire ma chérie. Désolé, je suis un peu occupée à écrire un article sur ton père, je te rejoins quand j’ai fini, c’est promis. »
Un baiser affectueux sur le front et une attente qui dure une heure lui permettent d’attendre. Deux. Et en vient six. Soudain, la porte grince : papa est rentré du travail. Elizabeth court afin de le saluer comme tous les soirs même s’il n’y fait pas grandement attention.
- «
Où est ta mère, Beth ? Elle n’a pas préparé le dîner, encore ? Merde quoi, tu pourrais faire un effort, Ann ! »
-
La demandée surgit du couloir, les cheveux mal coiffés et la manche de son pull glissant jusqu’à dévoiler son épaule. Elle se contente de ne faire que des petit pois accompagné de steak haché.
- «
T’es sérieuse ? Je pense qu’après une dure journée, je mérite un peu mieux que cette bouffe dégueulasse. »
Pourquoi est-ce que papa parle tout le temps à maman de cette façon ? Elizabeth n’y prêtait pas trop attention les jours d’école. Or, ce samedi-là, le résultat s’est avéré surprenant.
- «
Ecoute, petit con, j’ai passé la journée à écrire ce foutu article sur Ô combien tu es parfait et à quel point tu fais un super job et je n’ai même pas eu le temps de faire un gâteau pour Beth. Tu trouves ça normal que tout tourne autour de toi ici ?! »
Arthur essuie ses lèvres après sa dernière bouchée de petit pois. La fourchette claque contre l’assiette, et son regard se tourne froidement vers Ann dans un premier temps. Sa voix, elle, s’adresse à quelqu’un d’autre.
- «
Beth, file dans ta chambre. -
Pourquoi ? C’est mon anniversaire.-
Ne réponds pas à ce que te dit ton père. Vas-y. »
Déçue de ne pas souffler ses bougies, la petite rêveuse fait ce qu’on lui demande. Elle pleure un petit peu dans son lit, mais ce n’est pas grave. Papa voulait qu’elle soit là. Pour ne pas entendre les cris résonnant dans l’appartement, elle se contente simplement de coller son oreiller sur son oreille, la seconde logée contre le matelas.
Le joli rêve américain se brise. Elizabeth passe bien trop de temps dans sa chambre le soir alors qu’elle voudrait s’endormir sur les genoux de son papa héros. Maman ne vient plus lui raconter des histoires, on entend juste résonner quelques sanglots en pleine nuit quand personne n’arrive à dormir. Parfois, papa ne rentre pas pendant quelques soirées. Maman continue de se surpasser et parait de plus en plus fatiguée. À l’école, Beth n’arrive pas à se faire des amis. Ses super histoires sur son papa n’intéressent plus et son esprit rêveur et jovial fatigue ses camarades à la cour de récré. Elle n’est pas intéressante, on préfère jouer avec les plus populaires qui savent se faire écouter. Tant pis, elle a toujours ses livres pour s’occuper et s’inventer des histoires.
Un soir d’hiver, Ann et Arthur ont décidé qu’ils ne s’aimaient plus. La réalité est qu’ils ne se sont jamais véritablement aimés. Toute l’illusion du couple américain parfait s’était envolé pour laisser place à une solitude et un regret inconsidérables dans le cœur de la journaliste ratée. Elle voulait être aimée, écrire des articles reconnus par tout le pays – que dis-je, le monde entier, afin que sa famille soit comblée et fière d’elle chaque jour. Finalement, écouter les rêves qui l’aveuglent n’a été que le fruit de son échec. Elizabeth n’a jamais été le fruit d’un amour passionné, mais d’une excuse pour sembler heureux.
Embrassant sa fille une dernière fois avant qu’elle aille dormir, la jolie demoiselle âgée de maintenant treize ans se désillusionne.
- «
Tu viendras me voir à Londres. Tu peux même venir y vivre avec moi, si tu veux.-
Mais je ne peux pas laisser papa tout seul. Vous êtes horribles de me faire choisir quelque chose dont je suis incapable ; je vous aime tous les deux.-
Je sais, Beth. Je ne t’en veux pas du moins du monde. »
Après ces derniers mots et le divorce, Elizabeth a continué de voir sa mère de temps en temps lors des grandes vacances avant de ne plus trouver le temps. Son père demeurait strict : si tu as le temps de quitter le pays, alors tu peux rester ici pour étudier et devenir la meilleure possible. Arthur voulait la perfection pour sa fille : il lui offrait les meilleurs vêtements, l’inscrivait dans les plus prestigieuses écoles et, surtout, l’entraînait afin qu’elle suive ses traces. Le collège se déroule plutôt bien pour ses résultats, moins pour sa sociabilité ; ses amis entrent dans sa vie et partent aussitôt sans un au revoir. Au lycée, personne n’apprécie son nom de famille lié à un « connard de flic ». Les plus riches se droguent à la cocaïne ou enchaînent les séjours aux urgences avec un foie détraqué par l’alcool, elle continue donc à étudier et à ignorer ce qui l’entoure. Sa vie se résume à travailler pour sa carrière et pour rendre son père fier. Sa mère a tout raté, hors de question de reproduire la même catastrophe. Pourtant, de temps en temps, Lizzie se permet quelques petites folies lorsque ses camarades de classe lui proposent de les rejoindre en soirée. Elle ne se sent pas très à l’aise mais expérimente pour ne pas avoir à regretter un jour. Malgré tout, on la trouve ennuyeuse. On lui rabâche qu’elle ne ressemblera jamais à son père. Entendre ça ne lui plaît guère, elle préfère rester indifférente à nouveau et laisser les gens s’en aller car personne ne lui offre de l’amour décent. De toute façon, elle n’en a pas besoin.
Lors de sa dernière année, un garçon lui fait de l’œil. On ne l’a jamais draguée auparavant – serait-ce ça, « l’amour » ? Des palpitations dans le cœur, les joues qui chauffent et le ventre qui se serre. Pour une fois, on semble la regarder sous toutes ses formes. Elle vit ses premiers rendez-vous, son premier baiser, sa première fois. Elle rentre dans le rêve qu’elle avait perdu ; quelques mois après, seulement, la fleur se fane. Rien ne sortait d’un conte de fées – ses baisers ne l’enchantent plus, il préfère lui crier dessus et lui rappeler qu’elle n’est qu’une sale bourge. Leurs chemins se séparent comme ils n’auraient jamais dû se croiser et Lizzie réussit tout de même à avoir son diplôme haut la main.
Pourtant, l’illusion ne fonctionne pas. Elle ne peut fonctionner ; pourquoi en travaillant si dur, Elizabeth ne reçoit aucun mérite ? Son père n’est quasiment jamais là la maison et, durant sa présence, les disputes vont bon train. «
Tu ne fais pas assez d’efforts », «
Crois-tu réellement prendre la relève en te pavanant comme ça ? », «
Ce n’est pas en t’habillant comme une pute que tu deviendras sheriff ». En effet, rien ne satisfaisait personne ; les Kreine sont d’éternels insatisfaits, comment pourraient-ils être comblés ? Et puis, à quoi bon se plaindre lorsqu’on vient d’une famille plutôt aisée ? Tout le monde méprisait la belle Elizabeth pour ses facilités. Personne ne lui offrait l’amour dont elle avait toujours besoin.
Ca, elle s’en est rendue compte beaucoup trop tard, dans son uniforme bleu foncé. La seule chose qui pouvait la gratifier, c’était les séances d’entraînement de tir où, inconsciemment, elle imaginait son père à la place du mannequin. Prenant peur au début face à une pensée aussi morbide, elle s’est finalement mise dans la tête qu’il s’agissait un simple moyen de s’évader et de se venger.
Tout ça ne menait à rien. Ses brillantes études, ses objectifs, ses relations, sa carrière, cela semblait aussi faux qu’un épisode de Dallas. Elle ne voulait pas devenir un pantin, une réplique vide du beau citoyen américain qu’était Arthur ; son père n’a jamais été le papa héros qu’elle s’imaginait. Ann a fait des erreurs, or elle a fondé un espoir en son ancien mari qui lui a coûté beaucoup trop cher. Elizabeth ne comprenait que le faux de son existence qu’après une vingtaine d’années à respirer le même air qu’un imposteur. Si l’argent est ce qu’on lui a toujours reproché… alors autant l’utiliser pour combler son chagrin.
Alcool, fêtes, coups d’un soir ; tout ce qu’Elizabeth détestait étant jeune se manifestait sous l’effet d’une bombe. Les femmes ou les hommes, vodka ou vin blanc, elle ne cherchait qu’à combler sa solitude. Son père avait tenté de lui couper les vivres plusieurs fois, cependant, sous son air parfait, un père ne sachant aimer continuait de nourrir sa fille de faux espoirs. La petite Beth avait perdu ses rêves et ses illusions : personne n’arrivait à lui donner l’amour qu’elle n’a jamais pu obtenir. « Faible », Arthur lui répétait cet adjectif sans cesse pour la qualifier désormais.
Or, cette vie de « gosse de riche » ne pouvait plus durer. Elizabeth avait choisi de suivre les traces de son père pour récolter de l’honneur, de la joie et de la fierté au travers du nom Kreine. À force de pleurer et de se reconnaître plutôt lorsqu’on la nomme Faible plutôt qu’à son véritable prénom, la policière ne pouvait se laisser marcher sur les pieds comme sa mère l’avait fait. Elle n’est pas Ann, ni Arthur, ni n’importe qui d’autre : elle s’appelle Elizabeth. Si personne ne peut lui donner la joie et l’amour qu’elle réclame, alors elle se l’offrira elle-même un jour au travers d’un métier qui, certes, n’est plus si beau qu’à son enfance mais qu’elle a tout de même choisi avec conviction ; et tout ça jusqu’à la Lune Rouge où, sous la protection privilégiée de l’Etat, la rose fanée a finalement repris toutes ses pétales. Ses épines, cependant, la font encore souffrir ; d’autant plus que son don lui semble illogique comparé à ce qu’elle a pu devenir au fil de son influence.
Devenue patronne du casino « l’Orpheus » sous le gouvernement de Maxwell, mademoiselle Kreine a continué à s’endurcir jusqu’à se protéger elle seule sans aucun scrupule sous son cœur encore en manque d’affection et de compréhension. Lors de la Lune Rouge, alors qu’elle faisait partie de l’élite la plus protégée du pays une fois les castes intégrées officiellement, son don est apparu violemment en touchant l’épaule de son père pour attirer son attention. L’effet ne s’est effectué que par une apparition éclair mais le réflexe de son corps ne fut que de hurler de toutes ses forces. Ses cordes vocales vibraient jusqu’à s’en briser, Arthur tentait de la calmer sous les regards pétrifiés des rescapés encore apeurés de toutes ces apparitions surnaturelles.
La colère engloutissait tout son corps.
Depuis, Lizzie ose à peine toucher les personnes autour d’elle jusqu’à éviter une simple poignée de main. Afin de se protéger quelque peu, elle décide de porter des gants quasiment tous les jours et de maintenir une attitude froide et peu accueillante si quelqu’un se montre trop sociable. La limite du respect est tolérée dans le domaine professionnel, rien d’autre. Le cauchemar de la désillusion persiste malgré la réussite qu’elle avait toujours souhaitée. Tout parait si impressionnant… on pourrait l’envier sans aucune gêne. Alors pourquoi ? Pourquoi continuer à douter ?
Elizabeth ne pouvait s’aimer qu’elle-même, dans la solitude.
Avalant la dernière gorgée de mon café, je continue d’écouter son récit peu appliqué et avec des écarts de voix parfois très drôles à entendre. Même si je ne la connais pas, elle semble se confier comme si j’étais son meilleur ami depuis toujours. Aucune barrière, juste des mots, des vagues d’histoires sur sa vie personnelle s’émanent de son corps et de ses lèvres. Son père, sa mère, sa carrière, sa vie, son argent… Tout ce qui semblait créer le puzzle qu’est Elisabeth Kreine, la gérante du casino « l’Orpheus ». Si j’avais su que j’allais discuter toute la nuit avec une telle femme, j’aurais parié 500 000 dollars.
Les verres de whisky commencent à la fatiguer. Je lui propose de la raccompagner chez elle mais elle refuse gentiment, préférant laisser cette conversation se terminer ici entre deux personnes tout bonnement seules un vendredi soir. Elle paye à ma place, attrape son sac, son gilet et me fait un bref signe de la main suivi d’un sourire que sûrement peu de personnes peuvent réussir à obtenir. Une sorte de remerciement, je suppose.
C’est tout de même étrange ce qu’elle me raconte. Je l’aime bien, moi, cette Elizabeth.