Février 21XX
(12 ans avant la LR - 5 ans)
Seule dans une chambre d'hôpital, une petite fille tenait la main d’une femme plus âgée. Cette dernière était allongée dans un grand lit blanc, une perfusion sortant de son bras. Chauve est extrêmement maigre, elle avait les traits tiré, l’air fatigué.
-Maman, est-ce que tu vas mourir ?
Une petite voix se fit entendre. Elle parlait d’un ton calme et ne semblait absolument pas affolée par la situation. La femme afficha un pâle sourire avant de murmurer.
-Il y a deux réponses à cette question, comme à toutes les questions: celle du poète et celle du savant. Laquelle veux-tu entendre en premier ?
-Je…
La petite fille fronça les sourcils. D’habitude, elle aimait bien quand sa mère lui répondait de la sorte, avec son histoire de savant et de poète, même si elle ne le comprenait pas toujours. Mais là, elle avait le sentiment que l’heure était grave, et qu’il ne fallait pas perdre de temps à plaisanter avec une question à double réponses.
Mais elle avait toujours été sage. Et elle ne voulait pas contredir la femme. Alors elle répondit simplement.
-Celle du savant.
-Oui. La maladie me ronge petit à petit, je n’ai plus que quelques jours, si ce n’est quelques heures, à vivre. Mais ne t’en fais pas, papa et la famille prendrons soin de toi quand je ne serai plus là.
-Et celle du poète ?
Nouveau sourire de la part de la mère. Doucement elle tendit son bras dans un effort qui semblait surhumain vu son état. Elle posa faiblement sa main sur la poitrine de sa fille.
-Je ne mourrai pas. Et tu sais pourquoi ? Parce que je serai toujours là, ici. Et où que tu iras, où que tu seras, qu’importe ce que tu feras...je serai toujours avec toi. Et je t’aimerai toujours.
-Je n’ai pas tout compris, mais je crois que je préfère la réponse du poète.
Et puis, sans un mot de plus, la fillette sera la main dans sa mère qui poussa son dernier soupir.
Avril 21XX
(5 ans avant la LR - 12 ans)
“Suicide toi”,“Tu ne mérites pas de vivre”, “Ton père va bientôt te remplacer, vu le nombre de personne avec lequel il couche”, “Personne ne t’aime”, “Crève”.
Ce ne sont que des mots. Des mots, encore des mots, toujours des mots.
Et personne ne peut se douter de l’impact de tous ces mots, de la dure réalité du harcèlement scolaire, des séquelles morales qu’un enfant peut garder.
C’est ce que vivait Elizabeth Evans tous les jours, sans exception. Sauf peut-être le dimanche ou lorsqu’elle n’était pas à l’école.
Elle ne se souvient plus très bien de la manière dont ça a commencé. Elle avait sûrement dû vexer une bande de gosses qui se pensaient supérieurs. Mais bon, les enfants sont cruels. Il suffit qu’ils jugent quelqu’un comme différent ou bizarre, et ils s’y mettent tous ensemble pour faire de sa vie un enfer.
La blonde faisait parti de ceux là, de cette minorité qu’on passait son temps à blâmer. Celle avec qui, devant les professeurs, on faisait semblant d’être aimable, et qui derrière, on insultait, harcelait.
Aujourd’hui était un jour comme les autres, pour Elisabeth. Elle était allée à l’école, avait suivit les cours, puis avait subi les brimades de ses petits camarades. Et puis la sonnerie avait retentit, signalant la fin des cours, et la jeune fille était retournée chez elle.
Sur le chemin du retour, elle marchait d’un pas lent, comme si elle n’avait pas envie de rentrer. Ce qui était plutôt étrange. N’importe qui à sa place aurait préféré fuir ce lieu, cette école, remplie de bourreaux.
Mais pour elle, école ou maison, c’était le même combat. Alors à quoi bon ?
Alors, plutôt que de choisir le chemin le plus court, Elisabeth avait décidé de faire un détour le long du canal de la ville. Elle aimait bien cet endroit. Il était toujours calme, on entendait l’eau couler et les oiseaux chanter.
-Tiens mais qui voilà ! Même quand on est pas à l’école il faut que ta vieille face de rat salisse le paysage ?
La jeune fille fit volte-face en direction de la voix qui l’avait agressé. Devant elle, il y avait toute une bande de gamin de son âge, entre 12 et 14 ans. Des gens de son école et de sa classe. Il y avait environ autant de garçon que de fille, la regardant avec un air méprisant. Devant les autres, le chef de la bande. C’était un garçon plutôt grand pour son âge, aux cheveux bruns en bataille. Il s'appelait Thomas. C’était lui qui avait parlé.
-Bah alors ? Tu réponds pas ? T’as trop peur ? Poule mouillée !
-Hahaha ! Poule mouillée !
Les autres enfants scandaient le terme en coeur. Leur but étant clairement de provoquer la blonde. Mais Elisabeth ne cilla pas. Elle se contenta de faire demi tour et de reprendre son chemin. Attitude qui ne plut pas aux autres: les enfants couraient déjà pour la rejoindre et se mirent en cercle autour d’elle. L’empêchant de s'échapper.
-Hé ! Où est-ce que tu crois aller comme ça ?
Elisabeth leva les yeux au ciel. Décidément, il fallait toujours tout expliquer à tout le monde.
-Chez moi. C’est si compliqué à deviner ? Ca doit pas être facile de vivre tout les jours avec le QI d’une moule, pas vrai Thomas ?
Le brun grinça des dents. Il n’aimait pas l’attitude fière qu’avait Elisabeth quand elle lui répondait. Depuis le début, elle le regardait toujours de haut, lui, le type le plus populaire et le plus cool de l’école, si ce n’était de la ville. Elle lui devait le respect, comme tout les autres. Et il ne supportait pas qu’elle le ridiculise à chaque fois, surtout devant toute sa bande…
-Maintenant laisse moi passer.
-Non.
-Et pourquoi ? Je m’en fiche que vous m'embêtez à l’école, si ça peut vous donner l’air plus forts et plus intelligents. Mais ne vous en faite pas, c’est qu’une illusion !
Un sourire mauvais se dessina sur le visage d’Elisabeth. Elle avait un don pour trouver des répliques cinglantes, malgré son jeune âge. D’ailleurs, ce fut la phrase de trop. Le brun semblait en colère, il s’avança pour se placer devant elle, à l'intérieur du cercle d’enfant.
Elle voulait jouer la provocation ? Très bien. Lui aussi savait comment faire mal.
-Pfeuh. Ne va pas me faire croire que tu as envie de rentrer chez toi. Toute la ville est au courant de la réputation de ton père.
-Je m’en fou.
-De toute façon il ne t’aime pas. Il ne t’a jamais aimé. Tu te crois plus maline que les autres, mais personne ne t’aime, en fin de compte. Je suis sûre que même ta mère ne t’aimais pas. T’aurais mieux fait de mourir avec elle !
Ce fut les mots de trop. Elisabeth lui lança un regard noir, tellement noir que Thomas se figea. Il n’eut pas le temps de réagir que la blonde lui sauta dessus pour lui asséner un gros coup de poing dans la figure.
Le problème, c’était que les gamins étaient une bonne dizaine, tandis qu’elle, elle était seule. Elle ne tient pas longtemps face à leurs coups.
Avril 21XX
(5 ans avant la LR - 11 ans)
Même jour que précédemment
La jeune fille était rentrée couverte de bleu et saignait légèrement au niveau du crâne.
-Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
Un grognement rauque l’avait accueillit à la maison. Il s’agissait d’un homme. Plutôt grand, les cheveux châtains et le visage sévère. Son père.
-Je suis tombée.
Nouveau grognement de reproche. Qu’est-ce qu’il avait mérité pour avoir une fille pareil ?
-Qu’importe. Il va bientôt être 19h. Va faire à manger.
Elisabeth baissa les yeux, déposa son sac dans le couloir et se dirigea dans la cuisine sans rien dire. De toute façon, elle ne pouvait pas faire grand chose. Elle était obligée d’obéir à son père et de céder à tous ses caprices. Pendant que lui s’amusait à perdre l’argent que leur avait légué sa défunte épouse dans des casinos, ou bien batifoler le soir avec, à chaque fois, une femme différente.
Comme ce soir là, d’ailleurs. Il y en avait une, de femme. Aujourd’hui elle était rousse, grande et mince, avec un regard prétentieux. Elle n’accorda pas le moindre regard à la petite fille, et disparut avec son père tandis qu’Elisabeth arrivait dans la cuisine.
C’était pas une vie ça, c’était trop injuste. Pourquoi est-ce que son quotidien s’était effondré après la mort de sa mère ? Pourquoi est-ce qu’elle ne pouvait pas revenir dans le temps, lorsqu’ils formaient une famille heureuse et aimante, lorsque la vie était encore belle ?
Octobre 21XX
(2 ans avant la LR - 15 ans)
Quelques années avaient passé, l’adolescence avait commencé et la vie d’Elisabeth était toujours aussi merdique.
Bien qu’en entrant au collège, on lui avait un peu plus foutue la paix. Mais il y avait toujours des petits malins qui se plaisaient à la tourmenter, et qui allaient pleurer auprès des profs et de leur parents quand ils s’en prenaient une dans la figure. Et ça finissait toujours par lui retomber dessus.
Niveau scolaire, Elisabeth dégringolait. Elle se tapait toujours les pires notes, et, au grand désespoir de ses professeurs, arrivait toujours à être de plus en plus nulle. Ca tenait presque du miracle.
Niveau famille, la blonde vivait toujours avec son ignoble père qui devenait de plus en plus violent chaque jour envers elle. Il suffisait de regarder les hématomes sur ses bras. Comme ce soir là.
-C’est quoi ce plat dégueulasse ?
Comme pour joindre le geste à la parole, histoire de la rabaisser encore plus, son paternel cracha ce qu’il avait dans la bouche par terre. Et évidemment, qui allait nettoyer ? Elle.
Habituellement, Elisabeth aurait baissé les yeux, se serait tût et aurait, comme d’habitude, obéis aux ordres de son père. Mais là, elle en avait marre. Cet enfer n’avait que trop duré et elle n’en pouvait plus.
-Si ça ne vous plait pas vous avez qu’à cuisiner vous-même, toi et cette pouffiasse.
La poufiasse en question était une femme d’une trentaine d’année qui fréquentait son père depuis un jour ou deux. Et qui allait disparaître de sa vie dans un jour ou deux. Comme des centaines d’autres femmes avant elle.
Mais la pouffiasse du jour semblait s’être vexer, et, avec sa petite voix aiguë absolument insupportable, s’emporta:
-Tu vas me parler sur un autre ton jeune fille. Franchement Patrick, comment est-ce que tu as élevé ta fille ! C’est une incapable doublée d’une effrontée. Tu ferais mieux de la mettre à la porte, crois moi ça vaudrait mieux pour tout le monde...
La blonde leva les yeux aux ciels.
-Ferme là toi. Ne te crois pas trop importante parce que tu couches avec mon abruti de père. De toute façon dès demain tu seras remplacée et il y en aura une autre à la maison. Plus jolie et sûrement plus intelligente que toi.
-ELISABETH !
La voix avait résonnée dans la pièce, forte et grave. Le père de la blonde semblait dans une fureur incontrôlable. Il se leva de sa chaise puis assène une violente claque à l’adolescente qui tomba de sa chaise.
La blonde se releva, un peu sonnée par ce qui venait de se passer, mais pas choquée. Elle avait mal, mais bon. Elle avait l’habitude de se prendre des coups, de subir les excès de colère de cet homme.
-On ne t’a jamais appris le respect ? Tu me fais honte.
Un sourire mauvais se dessina sur le visage de la jeune fille.
-Le respect ? Comment veux-tu que j’apprenne le respect avec un être aussi acerbe que toi ? Le plus honteux de nous deux ici, c’est toi.
Nouvelle claque. Elisabeth retomba au sol. Et puis son père la roua de coup de pied au niveau des côtes. Une fois que ça furie passa, la jeune fille se releva et fila dans sa chambre. Elle attrapa son sac à dos, le remplit de quelques vêtements, un peu d’argent et d’autres affaires qui lui seraient utiles, et se dirigea vers la porte de sortie.
-Qu’est-ce que tu fou ?
Il y eut un silence. La blonde ne répondit pas tout de suite, elle se contenta de pivoter pour planter ses yeux turquoises dans ceux de son père. Son regard était neutre, presque méprisant. Il n’y avait aucune peur, aucune attache personnelle. Pour elle, celui qu’elle regardait, son père, était un étranger depuis bien longtemps.
Et puis finalement, elle lâcha.
-Il y a deux réponses à cette question, comme à toutes les questions: celle du poète et celle du savant. Laquelle veux-tu entendre en premier ?
L’homme écarquilla les yeux et devient blême. Ces mots… cela faisait plus de 7 ans qu’il ne les avait pas entendus. Ces mots, ce ton, cette phrase… c’était ceux de sa femme. Sa défunte femme. Il cligna des yeux, réalisant soudainement la ressemblance frappante entre sa fille et son épouse. Le même visage, les même cheveux, les mêmes yeux… mais surtout, le même regard.
-Celle...celle du poète.
Il déglutit, n’arrivant pas à parler correctement. Il se sentait bizarre, tout était si étrange, si absurde.
-Je m'en vais.
Nouveau silence.
-Et celle du savant ?
-Je m'en vais.
Sourire.
Et elle s'en alla.
Août 21XX
(1 an avant la LR - 16 ans)
Elisabeth avait quitté la Pennsylvanie il y a de cela un an. Elle avait voyagé sans trop savoir où aller. De toute façon l'important, ce n'était pas la destination, mais fuir le plus vite possible l'endroit de son enfance, de son passé. Il fallait qu’elle aille de l'avant, elle n'avait pas le choix.
Elle voyageait vers l'Est, toujours plus vers l'Est. Elle espérait ainsi arriver jusqu'à la mer, et prendre le large pour fuir ce maudit pays. Elle avait envie de voyager, de découvrir le monde, de rattraper toutes ces années perdues.
La route fut longue et difficile, elle dut parfois faire des sacrifices morales pour réussir à survivre, agissant de manière peu honnête. Mais bon, son voyage eut le mérite de lui forger un caractère bien trempé, encore plus qu'avant.
Sur sa route, elle avait rencontré Artis, il y maintenant un mois de cela. C’était un jeune homme d’un an son aîné, le visage fin, de beau yeux verts et des cheveux châtains/roux. Le jeune homme était l’optimisme incarné. Toujours souriant, c’était le genre de personne à ne jamais abandonner et à toujours aller au bout de ses idées.
Ils s’étaient rencontrés un peu par hasard, dans une ville non loin de New-York. Elisabeth avait élu domicile dans un hangar abandonné, le temps d’une escale d’un ou deux jours dans la cité. Et un soir, elle était tombée sur le jeune homme, qui avait vraisemblablement eu la même idée qu’elle comme cachette.
Lui aussi voyageait. Lui aussi fuyait un passé compliqué et voulait aussi découvrir le monde. Alors en apprenant le but de la blonde, il s’était mit en tête de l’accompagner, au moins jusqu’à la mer. Elisabeth avait évidemment refusé.
A vrai dire, la première impression qu’elle eut d’Artis fut calamiteuse. Elle ne supportait pas le jeune homme qui passait son temps à l’énerver. Il parlait tout le temps, il s'émerveillait de tout et n’importe quoi, et il faisait comme si ils étaient amis. Or ils n’étaient pas amis.
Et puis petit à petit, elle s’était résignée. Le bonhomme étant bien trop déterminé.
Et puis finalement, ils étaient devenus inséparables.
Janvier 21XX
(Année de la LR - 16 ans)
-Hein ? Comment ça tu veux changer de nom ? Elisabeth c’est très bien non ?
-Non.
Devant l’air sérieux de la blonde, Artis poussa un long soupir. Quand elle avait ce regard là, même lui ne pouvait pas la faire changer d’avis. Il prit un air sérieux et chercha à comprendre.
-Pourquoi est-ce que tu veux changer ?
-Parce que.
Nouveau soupir.
-J’aurai dû m’en douter. Encore quelque chose que tu ne veux pas me dire. C’est encore à cause de ton passé je suppose ?
Pas de réponse. Elisabeth resta muette. Comme à chaque fois qu’on évoquait de près ou de loin sa vie d’avant. Le jeune homme avait de nombreuse fois chercher à en savoir plus, mais sans succès. Elisabeth était muette comme une tombe à ce sujet. Elle était de toute manière bien trop réservée.
-Bon d’accord, et tu as une idée précise de ton nouveau non ?
-Absolument pas. C’est pour cela que je compte sur l’aide du grand Artis pour m’aider.
Ils échangèrent un sourir complice, et le jeune homme se mit à réfléchir.
-J’ai peut-être une idée…
-Je t’écoute ?
-Et bien, tu sais que lorsqu’on est embauché, on agit toujours le soir ou la nuit. Tu sais comment ils nous surnomment ?
Artis faisait référence aux petits boulots que lui et Elisabeth faisait pour gagner un peu d’argent. Le genre de services pas très légaux. La plupart du temps, ils étaient embauchés pour voler des choses ou bien donner une leçon à des malfrats, type réglement de compte. Vu que les deux jeunes gens savaient plutôt bien se battre et se débrouiller pour se sortir de situation compliqués, ils étaient plutôt efficaces. Ils avaient donc acquis une certaine réputation dans toute la région.
-Aucune idée ! Tu sais que je n’en ai pas grand chose à faire de la manière dont les gens m’appellent.
-Je sais bien. D’ailleurs moi non plus, c’est juste une rumeur que j’ai entendu. Ce sera un truc du genre…”Night Ranger” ou une bêtise du genre. En référence à nos périodes d’agissement.
Elisabeth laissa échapper un petit rire.
-C’est pas terrible ça comme surnom...on mérite mieux.
-Haha, tu as raison. Enfin bref, voilà où je veux en venir… T’as qu’à être Night, et moi Ranger ?
La blonde leva un sourcil. Elle n’était pas sûr d’avoir bien entendu.
-Mais...t’es con où tu le fais exprès ? “Ranger” c’est pas un prénom abruti. C’est comme si tu t'appelais Policier ou Poissonnier… Désolée mais il y a mieux.
Artis lui fit un clin d’oeil avant de répliquer.
-Oui, mais ce n’est pas moi qui veut changer de nom. Alors, qu’est-ce que tu en penses, de Night ?
La jeune fille réfléchit. Night ? Ca sonnait un peu bizarre, mais c’était pas si mal.
-Night Evans… Mouais. Je ne sais pas. On verra.
Décembre 21XX
(1 jour après la LR - 17 ans)
-C’est vraiment le bordel !
Night était soutenu par Artis qui avait passé un bras sous ses épaules pour l’aider. Les deux adolescents tentaient tant bien que mal d’avancer parmis les décombres.
Ils étaient arrivés à New-York il y avait environ 1 semaine, et avait décidé de s’installer là, tous les deux, le temps de réfléchir à leur avenir respectif. Et puis hier, tout avait basculé. L’apparition de la Lune Rouge dans le ciel avait créé un énorme chaos au sein de la capitale.
Tout avait été chamboulé, le taux de criminalité n’avait jamais été aussi haut et l’apparition de mystérieuses mutations n'arrangeait pas le tout.
L’appartement où Artis et Night résidaient avait prit feu, et une poutre était tombée sur la jambe de la jeune femme qui avait été blessé.
-Putain. J’en ai marre. Pourquoi est-ce qu’il faut toujours que ça soit de pire en pire ?
-Calme toi...Night… On va s’en tirer. Ok ? On s’en est toujours tiré.
Mars 21XX
(3 mois après la LR - 17 ans)
Maxwell était arrivé au pouvoir et avait petit à petit rétabli l’ordre dans New-York. Mais même si l’ordre avait été rétabli, de nouveaux changements avaient vu le jour. Celui des castes par exemple, Night était devenu une Philia tandis qu’Artis lui, était un simple Sourgê. Ils vivaient tous les deux à Brooklyn, à deux, ils arrivaient plus ou moins bien à vivre et à se nourrir.
Mais ce n’était pas non plus facile tout les jours. Ils avaient connu mieux.
Ce soir là, Night semblait pensive, presque mélancolique. Elle songeait à sa vie d’avant, à tout ce qu’elle avait traversée pour arriver finalement dans la capitale. New-York, était, à l’époque, synonyme de liberté pour elle. Elle souhaitait partir loin du continent Américain et découvrir le monde, Artis à ses côtés.
Et puis il y avait eu la Lune Rouge. Et tout l’espoir qu’elle avait réussi à regagner s’était de nouveau effondré.
-Qu’est-ce qu’il y a ?
Artis avait évidemment remarqué que quelque chose ne tournait pas rond. Night avait toujours été quelqu’un de fort, qui ne montrait que rarement ses sentiments. Alors la voir comme ça… il se doutait bien qu’il y avait quelque chose qui la tracassait.
-Est-ce que tu penses que Dieu existe ?
Le brun leva un sourcil. Il s’attendait à tout, sauf à ça. Il rit.
-Bien sûr que non voyons ! Quelle idée ! Et toi ?
-Il y a deux réponses à cette question, comme à toutes les questions: celle du savant et celle du poète. Laquelle veux-tu entendre en premier ?
Artis sourit. Ce n’était pas la première fois qu’il entendait cette réplique, mais à chaque fois, ça avait le don de le surprendre.
-Celle du savant.
-Dieu n’existe pas. Ce n’est qu’une invention imaginée par des hommes perdus et désespérés pour donner un sens à leur vie.
-Et celle du poète ?
-Oui.
Le jeune homme aussi les sourcils. Déjà qu’il avait du mal avec sa manie de couper les réponses en deux, voilà qu’elle lui en fournissait deux diamétralement opposées.
-Comment tu peux croire en Dieu et ne pas croire en Dieu en même temps ?
Night ne répondit pas. Elle se contenta de lever la tête vers le ciel. Les étoiles brillaient cette nuit là, il n’y avait quasiment aucun nuage. Juste les étoiles et la Lune Rouge.
-Ce n’est pas que je crois en Dieu… je me fiche bien de Dieu, d’ailleurs. C’est juste que par moment...ça doit vraiment être bien d’y croire, non ?
-Je ne comprends pas où tu veux en venir…
-Je veux dire… quand tout va mal, quand tout est désespéré… il y a Dieu. Quand tu en veux au monde entier, quand tu en veux à toi même, mais que tu es incapable de remettre la faute sur quelqu’un de précis, il y a Dieu. Quand il n’y a plus aucun espoir, et qu’on ne sait plus vers qui se tourner...il y a Dieu…
Elle marqua une pause comme pour faire durer le suspens.
-Tu vois, au final, c’est quand même beaucoup plus confortable de croire en Dieu… Ca expliquerait tout… Ma mère, ma vie de merde, la Lune Rouge, ces foutus pouvoir, ma foutu mutation...tout...vraiment tout...
Sa voix se brisa. Sans un bruit, Artis s’assit à côté d’elle et la prit dans ses bras. Il eu la délicatesse de ne rien ajouter de plus, et de simplement lui offrir du réconfort. Etrangement, Night ne se débattit pas, elle qui d’habitude a horreur qu’on la touche, elle se laissa bercer par son seul et unique ami.
Et puis doucement, des larmes coulèrent le long de ses joues.
Ce fut la dernière fois qu’elle pleura.
Juin 21XX
(2 ans après la LR - 19 ans)
Une jeune femme courait à toute allure dans les rues de Brooklyn, poussant les gens sur son passage sans daigner de s’excuser. L’heure était grave, et la vie d’Artis était en danger.
-Et merde…
Il n’aurait jamais dû s’en mêler. Pourquoi est-ce qu’il fallait toujours qu’il joue au chevalier servant ? Tout avait commencé deux jours auparavant. Night étant une Philia, elle s’était fait blâmer par un petit groupe d’individu qui se croyait supérieur en raison de leur caste. Chose qui n’avait pas du tout plu à Artis, qui avait décidé d’aller leur apprendre une bonne leçon.
En apprenant sa décision idiote -héroïque certes, mais idiote- la blonde s’était jeté à sa poursuite pour l’empêcher de faire une connerie.
Elle arriva dans une ruelle un peu à l’écart, le genre d’endroit pas très clean de Brooklyn, les quartiers un peu défavorisé. Dans la rue, il n’y avait personne. Cependant Night remarqua des traces de combats, notamment du sang, sur le sol.
Un nouveau jurons sorti de sa bouche, puis, elle entendit des bruits dans la maison à sa gauche. Cela ressemblait à des gens en train de se battre, et parmis les voix, elle reconnut celle d’Artis. Son sang ne fit qu’un tour, elle se rua au niveau de la maison pour y entrer.
Elle n’en eut pas l’occasion.
Une grande explosion retentit. La bâtisse avait prit feu, envoyant Night à terre.
Celle-ci se releva, complètement sonnée. Elle voyait flou autour d’elle, et n’entendait presque plus rien à cause des explosions.
Elle apperçu quelques personnes sortir du bâtiment, mais aucune trace du jeune homme brun.
-Artis…
Dans un effort surhumain, Night réunit le peu d’énergie qui lui restait pour se ruer dans la maison en flamme. C’était une manoeuvre assez suicidaire, vu l’état de choc de la jeune fille. Mais elle refusait de laisser Artis tout seul dans cette bâtisse en flamme. Il l’avait aidé dans une situation similaire, juste avant la Lune Rouge, il ne l’avait pas abandonné.
Alors jamais elle ne t'abandonnerai.
Pas lui, pas la seule personne qui comptait pour elle à présent. Le seul réconfort qu’elle n’a jamais eut. La seule personne en qui elle avait confiance.
Celui qui, malgré ce qu’elle disait, comptait plus que n’importe qui. Celui qui l’avait aidé, soutenu, rassuré, sauver un nombre incalculable de fois. Celui avec qui elle avait voyagé, partagé. Celui qui lui avait, petit à petit, redonné goût à la vie. Celui qui l’avait fait rire, sourire…
Celui qui avait disparu ce triste soir.
La laissant toute seule.
Une fois de plus.