" My anxiety's clawing out from deep within me,
It burns within as my throat begins to cauterize ;
This negativity's leeching any shred of composure,
Rationale has decayed, and left me bound in madness "

Un visage clos, très peu de sourires - sauf ceux qui débordent de cynisme, comme elle sait si bien les faire - et la plupart du temps des yeux où une certaine rage semble s'être installée à jamais. Beryl n'inspire pas trop l'envie de se lier à d'autres, il faut le dire ; elle semble si détachée de tout que c'est à se demander si elle vit vraiment dans le même monde que les autres. Du détachement, une autonomie un peu trop poussée peut être. La dame rouge a appris à faire son chemin seule. Elle comprend l'intérêt des relations, des amitiés, mais elle ne pense pas en avoir besoin. Elle est mieux loin de tout, sans se mêler de rien, loin de tous ces gens qu'elle ne connaît pas et qui, jusqu'ici, ne lui inspirent pas grand chose non plus.
Peut être que tout cela est un mensonge. Peut être que ce n'est que de la persuasion, un mensonge aux autres et à elle-même. Au fond, elle sait sans doute qu'elle n'avancera pas bien loin sans l'appui de quelqu'un d'autre ; et au fond d'elle, peut être qu'elle désire cet appui. Elle se sent seule au final, si seule. Le temps n'a épargné personne de ceux qu'elle aimait, les rares à rester. Elle aurait pourtant tout sacrifié, et l'a bel et bien fait, mais tout n'est jamais assez. Ses efforts ne seront jamais suffisants. Elle s'est faite à l'idée que le destin ne voulait pas qu'elle soit heureuse, sûrement. Alors, plutôt que d'être rejetée ou abandonnée encore une fois, elle se tait. Elle regrette beaucoup, elle veut se repentir des horreurs qu'elle a vues et commises. Elle veut corriger ses erreurs, mais elle ne sait pas comment s'y prendre. Beryl hésite, c'est la seule chose qu'elle fasse correctement, dirait-elle.

Elle est forte, sans doute, pour porter volontairement tout ce poids sur ses épaules. Elle a appris à ne pas broncher, parce que c'est mieux pour tous. Des fois elle se dit qu'elle voudrait se libérer de tout ça, repartir à zéro, tout oublier et ne plus jamais se jeter à nouveau dans la spirale infernale du malheur ; puis elle se dit qu'elle peut bien rêver. L'espoir, elle n'en mangerait même pas au goûter. Elle sait à quel point ça fait mal. Pourtant elle n'est pas défaitiste, non, elle sait juste ce en quoi elle peut croire ou pas. Beryl souhaiterait beaucoup de choses, elle aimerait beaucoup que sa situation s'améliore, mais elle ne sait pas si elle est vraiment capable de l'y pousser. Elle sait que les choses ne se font pas seules, mais elle ne sait pas si elle est en mesure de les faire elle-même. Elle aimerait en être assurée, et foncer tête baissée comme d'autres le font ; mais elle ne sait pas si elle en est vraiment capable. Parfois elle saute dans le vide, sans se poser de questions, car elle en a assez de douter, et le plus souvent le regrette. Elle continue d'essayer cependant, doucement, mais sûrement.
Lilith, le démon rebelle. Elle n'a pas toujours été comme ça. Elle a des convictions fortes, et même si elle n'a pas toujours raison, elle sait qu'elle n'a pas souvent tort. C'est sûrement en partie pour ça qu'elle ne supporte pas qu'on ne l'écoute pas, et qu'on ne considère pas son opinion. Mais maintenant elle n'est plus aussi discrète, elle est forte, puissante, respectable et respectée. Elle n'inspire pas la terreur, mais elle n'inspire pas la sympathie pour autant. Des fois elle aimerait se défaire de ce masque, ce visage qu'elle n'arrive jamais à arracher, qui la rend si froide. Le temps a figé ses traits en un apparat de défense et de destruction, et son cœur en un joyau rouge a la lueur si faible, si imperceptible, qu'elle ne souligne qu'une partie de ses morceaux ébréchés.
Li, l'amie fidèle. Elle a toujours été comme ça, au fond. Elle ne le montre que très peu, pas par envie mais pas dépit, elle est une personne passionnée et loyale. Elle ne se lasse jamais d'observer, d'apprendre, de comprendre ; elle est toujours là, elle est intemporelle dans l'esprit des autres. On ne se souvient pas d'elle, mais parfois, au coin d'une rue, on pense reconnaître quelqu'un de familier. Elle n'oublie rien, chérit tous les souvenirs, même ceux des plus douloureux, parce qu'elle a été façonnée par eux. Cependant, elle ne se rappelle pas comment agir comme une amie. Elle est maladroite, elle ne sait pas toujours quoi faire mais essaye toujours de faire mieux. Elle est attachante, au final. Peut être qu'au fond, elle n'a besoin que de quelqu'un pour briser les murs de son petit monde. Elle a besoin d'être secouée, sortie de ses gonds. Elle a besoin d'exploser. Mais elle est trop effrayée de faire du mal, ou de souffrir, pour provoquer son destin seule.

" Mon idéal viscéral perdu dans les abysses d'une obscurité absolue,
Ces doux accords dissonants de mélancolie, stridents, exhumèrent mon cadavre de l'ennui ; nu face au monde, l'asphyxie paraît naturelle, artérielle ;
Les âges peuvent courir, l'expérience nourrir, les ressentiments pourrir, les textures atonales, et le temps donne une chance de guérir "

Elle avait suivit ses parents en Amérique l'été de ses dix-sept ans, en juillet ; à ce jour, elle ne pense pas avoir fait une décision aussi mauvaise que celle-là. Quelque chose lui a toujours manqué, mais elle se retrouvait incapable de définir quoi quand on lui demandait de s'expliquer. Ce n'était pas l'argent, la gloire, l'amitié ou l'amour, ni même la seule et simple considération de son existence. Autant est-il qu'une fois qu'elle l'eût perdu pour de bon, elle fût enfin en mesure de nommer cet étrange vide dans son cœur, ce qui rendait sa vie si incomplète et si fade. Lumia.

C'était un été avant la Lune Rouge, avant l'Amérique, que Beryl l'a rencontrée. Elle ne se rappelait que trop bien du lien immédiat et profond qui s'est invité entre elles, et qui la hante encore et toujours. Elle se souvenait toujours des bons moments, des mauvais, du pire et du meilleur, de tout ce qu'elles avaient vécues côte à côte, la main dans la main. Tout ce qui avait pu meurtrir sa vie, elle l'oubliait grâce à Lumia. Elle lui avait promis le bonheur, la fuite vers des jours meilleurs, quelque chose qui était au-delà de ce que ce monde pouvait offrir et que, selon elle, cette petite étincelle méritait bien plus qu'elle ne pouvait l'imaginer. Cette lumière dans sa vie avait compensé tout ce qui n'était pas assez chez elle, tout ce qui était bancal et brisé, et avait tout illuminé de son éclat radieux. Un éclat semblable à celui de la chambre d’hôpital dans laquelle tout s'est terminé.
Sa douce source de bonheur s'était éteinte pour rejoindre le paradis où Beryl voulait la conduire. C'est ce même été où elle avait posé ses valises à New York que la dame rouge tenta de la rejoindre, bien des années d'hésitation et de vide plus tard. Plus rien n'avait de sens, de goût, de couleur, tout semblait si pâle et si livide que le monde semblait mort. Le goût amer sur sa langue et la déchirure béante dans sa poitrine la laissaient penser que plus rien n'avait continué de vivre depuis qu'elle, Lumia, avait cessé de vivre, et elle sentait lentement dans ses veines que le temps se ralentissait, s'alourdissait, jusqu'à devenir insupportable. Elle ne vivait plus que dans le mensonge, avec des cicatrices qui ne semblaient plus vouloir se refermer, et dont la douleur perpétuelle ne faisait que s'aggraver et s'encrer toujours plus et plus profond dans sa chair. Maintenant, elle ne pouvait plus ignorer les cauchemars que sa douce veilleuse l'empêchait de revisionner encore et encore ; tous ces souvenirs annihilants et traumatisants ne pouvaient que se repaitre de son cœur déjà au bord du gouffre.

Elle ne partit jamais de New York pour retrouver le théâtre de sa vie, la vraie, celle qu'elle avait menée avec Mia, et qui s'était ainsi transformée en tragédie. Elle voulait à la fois tout effacer de sa mémoire pour ne plus jamais souffrir et ne pas laisser le passé nécroser sa vie, et à la fois se souvenir de chaque instant pour que jamais elle n'oublie le doux goût d'un bonheur auquel elle ne retoucherait jamais. En permanence déchirée en deux par son vœu d'oubli et celui de préservation, sa vie s'écoulait sans elle ; si bien qu'elle ne vécut que seulement à moitié les trois jours meurtriers de la Lune Rouge et la mise en place du gouvernement de Maxwell.
Beryl ne sait pas vraiment quel miracle a décidé d'épargner sa vie durant cette période, vie qu'elle souhaitait à ce moment être arrachée plus que tout ; c'est sans doute ce qui fût le déclic qui la poussa à s'extirper assez du gouffre où elle s'était enfoncée pour au moins pouvoir ramper, et se donner une chance de survivre à l'apocalypse que furent les premiers jours de l'ère Néos. La colère et le deuil qu'elle n'avait jamais fait possédaient son corps, se mutaient en une hargne de vivre, un élan destructeur qui témoignait bien plus qu'elle voulait vivre pour ce qu'elle avait été avec la partie qui lui manquait désormais, que pour elle-même. Elle était devenue une brasier, une boule de haine et de feu qui embrasait tout sur son passage rien que par son tempérament puissant, ce qui attira bien sur les Éros. Sa façon d'être et son pouvoir combinés étaient un atout, elle n'avait plus rien à perdre et plus peur de rien, et encore moins de faire le sale boulot d'un gouvernement qu'elle rechignerait à connaître plus profondément pourvu qu'on la laisse se défouler et être payée pour ça. De glorieuses années de bains de sang victorieux et de dommages collatéraux, mais pourvu que le Roi soit satisfait et que la dame rouge se libère de ses chaînes l'espace de quelques heures. Beryl fût une Éros comme beaucoup d'autres, elle tua et pilla comme ceux de sa caste, et ne rechigna jamais à le faire sans réfléchir - puisqu'on ne lui demandait pas de penser à ses actes, et qu'elle était trop préoccupée à expier son malheur pour y songer. Hélas, un jour sa raison commença à la rattraper.

Ça a commencé avec ses ongles, qui malgré qu'elle ne les ai cognés ou coincés nulle part, étaient noirs d’hématomes ; c'était le début du problème qui était le plus facile à cacher, et le moins suspect. C'est ensuite que ses doigts, de la pulpe à sans tarder toute la peau, ont commencé à devenir engourdis et tannés, puis noircis de la même manière que ses ongles. Peu à peu, Lilith réalisait son erreur, et sûrement trop tard. Son pouvoir se retournait contre elle. Elle devenait une hybride, une Philia, un rebus de mutant que jamais les Agapé n'accepteraient même en temps qu’Éros et qu'ils jetteraient dès que le moindre soupçon serait levé. Alors qu'elle cachait la gangrène qui progressait et assaillait ses bras, sa situation ne devenait plus que peur et anxiété d'être trouvée et bazardée, ou tuée. Elle n'avait plus de haine à expier, et plus de hargne à combattre parce qu'elle savait qu'elle ne pourrait rien contre la Garde Royale qui la chasserait sous peu. Sans surprise, alors qu'elle redevenait aussi misérable qu'elle l'était avant de devenir Éros, on brûla sa peau pour en retirer la caste meurtrière et on y tatoua le symbole Philia, marque de sa déchéance et de sa nouvelle vie en temps que rebus d'un royaume qui n'avait plus besoin d'un imperfection comme elle.
Elle s'est alors retirée dans les tréfonds du Bronx, là où la Garde Royale ne va jamais, pour dans un premier temps se laisser mourir. Elle venait de tout perdre, encore une fois : autant la gloire et l'argent, que l'admiration et le statut qu'on lui avait ainsi donnés sans qu'elle fasse autre chose que souffrir de la perte et hurler sa haine d'un monde qui n'était plus le sien. Plus jamais elle ne serait récompensée au nombre de têtes coupées, de beasts annihilées, aux litres de sang qu'elle déversait, et ça la désespérait. Mais dans un coin de sa tête, la déchue se souvenait d'une partie d'elle qui n'aurait jamais créé un tel chaos et qui en aurait déploré la perte, une partie d'elle dont Lumia serait fière à ce jour - une partie d'elle que Beryl n'était plus. Elle était devenue un monstre, une bête de muscle et de rancune se nourrissant d'injustice et de chair. Un rebus d'humanité. Une simple Philia. A défaut d'être portée par le désespoir, elle se décida à se lever dans la boue et à renaître de ses cendres grâce à une certaine pulsion qui lui hurlait de vivre honorablement. Elle refusait que Mia la voie de là-haut se traîner dans les cadavres, dans la misère et dans les bas-fonds d'une société bancale. Elle voulait se repentir et devenir une personne noble, et retrouver l'humanité qu'elle avait perdue dans le massacre et la haine, et sacrifierait tout ce qu'il lui reste pour atteindre ce but.